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jusqu’ici. Tous souffrent ; quelques-uns seulement sont coupables, car une société, comme tout être vivant, ne peut accomplir chaque fonction que par un seul de ses organes. Les vrais coupables, et les seuls qui puissent venir en aide à la France, ce sont les raisons d’élite qui étaient chargées de voir et de penser pour tous ; ce sont les esprits à qui il est donné de pouvoir s’effrayer et s’indigner de ce qui semble tout naturel à la foule.

Qu’ils se mettent donc à l’œuvre, tous ces ouvriers ; qu’ils tâchent de compter pour quelque chose en France ; que tous travaillent obstinément à démasquer et à punir ce qui révolte leur conscience et leur raison ; que tous surtout mettent en eux seuls leurs espérances. Ce qu’ils ne feraient pas, ce ne sont pas des lois préventives qui pourraient le faire. Sans contredit, les règlemens contre la presse et le théâtre sont encore ce qu’il y a de mieux, bien plus, ce qui est indispensable, s’il n’y a pas autre chose ; mais ils ont un vice radical ils ne guérissent pas, ils sont impuissans à transformer en un objet répulsif pour tous ce qui était attrayant pour tous : 1848 ne l’a que trop prouvé. Malgré les lois de septembre, il s’est trouvé, à la première occasion, que la France avait encore en elle tout l’ancien levain. C’est l’esprit de la France qui a désorganisé ses affaires, c’est seulement en modifiant son esprit que l’on rétablira ses affaires, et, pour le transformer, il n’y a, après Dieu et la lente croissance, que la répression, la loi, quelle qu’elle soit (code, police, presse éclairée), qui châtie les méfaits, la loi qui, pour ainsi dire, permet au mal de se montrer, afin d’avoir occasion de le frapper et de faire ainsi qu’on le prenne en haine et en terreur. — Des digues vivantes, voilà ce qu’il nous faut. Nous avons passé notre temps à aspirer et à adorer nos propres idées sous le nom de justice et de vérité : c’est du temps perdu. Eussions-nous défini avec la dernière exactitude comment il serait à souhaiter que fussent tous les Français ; ils ne seront pas moins ce qu’ils seront, et la France ne verra pas moins venir au jour toutes les idées étroites et les volontés dangereuses qui pourront résulter de l’état des esprits. Demain comme aujourd’hui, il se trouvera des vaniteux, des ambitieux et des imitateurs pour faire fleurir le mensonge et les vilenies de toute espèce, s’ils y voient des moyens de succès. Pour nous en débarrasser, le seul parti à prendre est de faire que le mensonge ne soit plus un moyen de succès. Il s’agit de prendre nos mesures pour que l’étourderie rapporte uniquement des huées, et pour que les hymnes à la brutalité rapportent uniquement le mépris et la réprobation. Il s’agit enfin de ne plus nous tourmenter de ce qui devrait être, mais de nous vouer corps et ame à faire la guerre à ce qui ne doit pas être ; seulement entendons-nous bien sur le genre de guerre qu’il faut faire, car on peut se rendre fort dangereux en croyant combattre l’erreur, ou plutôt il y a telle manière