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en effet pour unique cause le prix élevé de ses produits ou les caprices de la mode. L’existence de l’art lui-même a paru, depuis le commencement du siècle, si souvent compromise par des découvertes de toute sorte, qu’on n’ose pas la regarder comme assurée dorénavant. On suppose qu’à force de perfectionnemens matériels, les procédés encore nouveaux finiront par donner des résultats accomplis : alors c’en sera fait de la gravure. Rien de moins admissible cependant, et, quelque ingénieux que soient ces procédés, quelle que puisse être dans l’avenir l’industrie qui en améliorera l’usage, il est aisé de prouver par des exemples qu’ils demeureront, toujours en dehors ou au-dessous des conditions de l’art.

On se rappelle le succès qu’obtint tout d’abord en Europe l’invention de la lithographie. Ce fut surtout chez nous, qui faisons en toute occasion bon marché des habitudes de notre passé et qui nous défions peu de l’inconnu, que l’importation de la découverte de Senefelder excita, de 1816 à 1820, un enthousiasme qu’a bientôt refroidi l’expérience. À cette époque, il était sérieusement question de remplacer désormais le burin par le crayon. À quoi bon pâlir dix années sur une planche, quand il était possible de traduire sur pierre en quelques semaines, en quelques mois tout au plus, les compositions les plus ornées ? Pourquoi se condamner à de longues études préliminaires, puisqu’on pouvait se passer d’apprentissage et qu’il suffisait de savoir dessiner ? Beaucoup d’artistes se mirent à l’œuvre : les uns, il est vrai, sans préoccupation de rivalité, et ne voulant appliquer ce mode de reproduction rapide qu’à des sujets de peu d’importance ; les autres affichant des prétentions plus hautes, et se proposant ouvertement de lutter avec les graveurs. L’issue de la lutte fut tout à l’avantage de ces derniers. La mise au jour des grandes lithographies dites sérieuses montra jusqu’à l’évidence l’infériorité de l’art nouveau. On reconnut que le burin seul pouvait donner au travail la fermeté et la finesse nécessaires, et qu’il y aurait toujours crins les œuvres du crayon un peu d’indécision et de lourdeur. L’imperfection des lithographies prétendant à l’apparence d’estampes est inhérente à la nature même du moyen et ne dépend pas du talent : il est mieux par conséquent de n’employer ce moyen que dans les cas où l’exécution peut se passer de rigueur.

La lithographie se prête à l’improvisation, et ces petites scènes familières que tant d’artistes contemporains excellent à tracer tirent un agrément de plus de la célérité avec laquelle on les a rendues. Le burin n’y aurait que faire ; il faut ici un instrument qui obéisse vite et seconde la verve, sous peine de choquer par le contraste entre la légèreté de l’idée et le sérieux de la forme. Ainsi on éprouverait autant de déplaisir à voir aujourd’hui des caricatures gravées qu’à entendre un couplet de vaudeville chanté sur un air héroïque. L’usage du