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méritent d’être parfois confondues avec les siennes. Puis, lorsqu’ils eurent à leur tour formé des élèves allemands, ceux-ci revinrent achever dans leur pays la révolution commencée en y introduisant de plus en plus le goût de la manière romaine, en sorte que l’école de Dürer, la seule renommée en Allemagne quelques années auparavant, s’absorba presque entière dans l’école d’Italie dès la seconde génération.

Les nombreuses estampes gravées par Albert Dürer, dans la force de son talent, n’obtinrent long-temps qu’une médiocre faveur en France elles y ont aujourd’hui des admirateurs zélés, et la peinture moderne s’est ressentie parfois de cet élan subit d’enthousiasme ; mais c’est sur la nouvelle école allemande que le maître de Nuremberg semble avoir exercé une influence principale, regrettable même à certains égards, ainsi que nous essaierons de le démontrer en traitant de la gravure moderne. Il serait injuste cependant de faire porter à Dürer la peine d’erreurs dont il n’est que la cause involontaire. Quelque excessive que soit la réaction opérée, il n’en demeure pas moins, à le prendre abstraitement, un artiste éminent, le plus considérable même de tous ceux de son pays. Peintre et sculpteur, « il aurait, dit Vasari, égalé les grands maîtres d’Italie, si la Toscane l’avait vu naître, et s’il avait pu, par l’étude de l’antique, donner à ses figures autant de beauté et d’élégance qu’elles ont de vérité et de finesse. » Architecte et mathématicien, il tint le premier rang parmi les savans allemands de son temps. Graveur, et c’est à ce titre seul que nous devons l’envisager ici, il fit faire à l’art des progrès signalés. Personne avant lui n’avait manié le burin avec cette dextérité et cette vigueur, personne n’avait fouillé le cuivre avec cette rigoureuse précision, ni modelé si nettement les parties enserrées dans un contour.

On peut citer comme exemples frappais du talent et de la manière d’Albert Dürer le Saint Hubert à la chasse s’agenouillant devant un cerf qui porte sur sa tête un crucifix miraculeux, le Saint Jérôme dans sa cellule, la meilleure peut-être des estampes du maître sous le rapport de la limpidité du ton, enfin la pièce connue sous le nom de la Mélancolie, et qui devrait plutôt porter celui du Désespoir. Cette pièce, que Vasari qualifie « d’incomparable, » représente une femme assise, la tête appuyée sur une main et tenant de l’autre un compas avec lequel elle semble jouer machinalement ; autour d’elle sont jetés çà et là comme pour indiquer le vide des connaissances humaines, un sablier et des instrumens scientifiques, tandis qu’au second plan un enfant, image sans doute des illusions de la jeunesse, écrit attentivement, et contraste, par son calme enjouement, avec l’agitation des traits et l’attitude désolée de la figure principale. Il est telles autres planches d’Albert Dürer où la fermeté du dessin n’en exclut pas la délicatesse, où l’énergie extraordinaire s’allie à la subtilité de la forme ; mais il