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L’association des deux artistes eut pour résultat la publication de plusieurs estampes admirables, malheureusement elle amena aussi un résultat honteux. Jules Romain, obéissant plus en cela aux goûts dissolus de son époque qu’à la tradition d’art léguée par le noble chef de l’école, s’était abaissé jusqu’à dessiner une suite de sujets obscènes que Marc-Antoine consentit à graver, et Pierre Arétin achevant de salir de son contact l’entreprise, avait composé, pour être imprimé en regard de chaque planche, un sonnet explicatif. De là un livre dont le titre est demeuré infâme. Les auteurs, en le faisant paraître, n’avaient eu garde d’y mettre leurs noms ; on les devinait cependant à la force et à l’ampleur du style, à la fermeté de l’expression, car (ce qui peut paraître surprenant) ni Jules Romain, ni Marc-Antoine, en traçant ces scènes indignes de leur talent, ne s’étaient donné la peine de modifier leur manière habituelle, ils l’avaient seulement prostituée. C’étaient la même sévérité de formes, la même énergie de travail, qualités fort déplacées assurément dans l’exécution de pareils sujets[1]. On sut donc bientôt quels étaient les coupables, et Clément VII, en décrétant des poursuites contre eux, ordonna en même temps que les exemplaires du livre fussent détruits. L’Arétin s’enfuit à Venise, Jules Romain à Padoue, mais le graveur paya pour tous. Jeté en prison, il n’en sortit qu’au bout de plusieurs mois, grace aux sollicitations réitérées du cardinal Jules de Médicis ; du sculpteur Baccio. Bandinelli, alors fort en faveur auprès du pape, et d’après lequel il fit, pour lui témoigner sa gratitude, cette belle estampe du Martyre de saint Laurent, l’un des chefs-d’œuvre de la gravure ancienne. — Le reste de la vie de Marc-Antoine n’offre qu’une série de malheurs et de fautes. Blessé, dit-on, et laissé pour mort sur la place, lors du sac de Rome par l’armée espagnole du connétable de Bourbon, il fut ensuite retenu captif et ne recouvra la liberté qu’au prix d’une rançon qui le ruina ; puis il se réfugia à Bologne, où, par un retour aux coutumes de sa jeunesse, il essaya de vivre de fraudes, non cette fois en contrefaisant les œuvres d’autrui, mais en copiant quelques-unes des siennes, qui depuis long-temps ne lui appartenaient plus. C’est ainsi qu’il grava une répétition de son Massacre des Innocens et qu’il en vendit secrètement les épreuves, au détriment du propriétaire de la planche originale[2]. Celui-ci prit mal la chose ; il accourut de Rome, et, moins

  1. Augustin Carrache, qui mérite d’être compté parmi les plus habiles graveurs de la fin du XVIe siècle, n’a pas rougi de consacrer son talent à une publication analogue, sérieuse de style, très obscène d’intention. Il semble que l’artiste bolonais ait voulu, comme son célèbre compatriote, étaler autant de science que d’impudeur. L’une ne sert qu’à rendre l’autre plus inexcusable, et l’on tolère encore moins cette effronterie austère que le libertinage sans prétention des petites estampes françaises qu’au XVIIIe siècle on vendait sous le manteau.
  2. Ce sont ces épreuves, aujourd’hui fort recherchées, qu’on désigne en Italie sous la dénomination d’épreuves à la felcetta, et qu’on appelle en France épreuves au chicot, parce qu’au-dessus du groupe d’arbres qui s’y trouve, ainsi que dans les anciennes, s’élève une sorte de pointe ayant à peu près la forme d’un if.