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lumières ou des ombres. Rappeler le succès de l’entreprise, c’est rappeler aussi les noms de Vorsterman, Pierre Soutman, Pontius, Bolswert, artistes hardis, qui d’un seul bond portèrent à sa perfection la gravure coloriste (si l’on peut qualifier ainsi la gravure qui rend surtout la valeur des tons), et dont les œuvres sont identiques à la peinture qu’elles reproduisent. Que cette peinture ne soit pas, malgré son immense mérite, de l’ordre le plus élevé, c’est ce qui se démontre de soi-même ; mais en est-il moins vrai qu’elle se retrouve tout entière dans les estampes contemporaines, qu’elle s’y réfléchit vivante, pour ainsi dire, et comme surprise dans l’accent de sa physionomie ? Dans une pensée analogue à celle qu’avait eue Marc-Antoine en vue du modelé, les graveurs flamands tendent, en vue de l’effet, à subordonner les parties accessoires au relief des morceaux essentiels, et réussissent à dissimuler sous l’apparence large de l’ensemble les travaux de détail et jusqu’à la lenteur du procédé. Avoir ces planches d’un aspect si vif et si animé, il semble que les graveurs les aient exécutées en quelques heures de verve, tant l’entrain qui y règne éloigne tout sentiment du temps, toute idée de patience et d’effort. Et cependant que de jours et de peines elles ont dû coûter ! Toutes ces masses d’ombre et de lumière, cette souplesse des chairs et ce jeu des draperies résultent de sillons laborieusement creusés, et il a fallu buriner mille tailles pour imiter tel effet obtenu en quelques coups de pinceau, telle teinte qu’a donnée un glacis. Les productions de l’école flamande sont encore très généralement répandues. Il est peu de personnes qui n’aient eu l’occasion d’admirer la Thomiris et le saint Roch priant pour les pestiférés, de Pontius ; la Descente de croix, de Vorsterman ; la Chute des réprouvés, de Soutman ; et cent autres estampes aussi belles gravées d’après Rubens par ses nombreux élèves. Enfin, qui ne connaît ce chef-d’œuvre où la fermeté et la transparence du coloris sont prodigieuses, le Couronnement d’épines gravé d’après Van-Dyck par Bolswert ?

Bien que les graveurs flamands obéissent tous à la direction de Rubens et présentent dans l’ensemble de leurs ouvrages un style et des tendances uniformes, chacun d’eux cependant conserve, ne fût-ce que dans la pratique mécanique, quelque chose de distinctif et une physionomie à part ; mais il en est un qui se détache du groupe avec une incomparable grandeur, et qui le domine de toute la supériorité du génie sur le talent : c’est le célèbre Rembrandt. — On s’est efforcé long-temps de pénétrer le secret des moyens qu’il employait ; on s’est demandé à quel mode de travail, à quels instrumens il fallait recourir pour obtenir ces oppositions d’ombres veloutées et de splendides rayons de lumière : recherche vaine de science technique dans une exécution inhérente à la pensée et inspirée comme elle ! On peut dire que chez Rembrandt, de même que chez les grands compositeurs, le procédé harmonique est si intimement uni à la mélodie qu’il exprime, que l’analyse