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résultat d’ôter à chaque genre le caractère qui lui est propre, à la gravure au burin sa sévérité, à l’eau-forte son apparence libre et facile.

Nous touchons au moment où l’école française entre résolûment dans la voie du progrès, où nos graveurs, après s’être mis pendant plusieurs années à la suite des graveurs italiens, marchent déjà à leurs côtés et sont bien près de les laisser à distance. Il est nécessaire, avant de passer outre, de jeter un coup d’œil sur ce qui venait de s’accomplir dans les écoles dont on a vu les commencemens.

Les grands peintres de l’Italie avaient fini avec le XVIe siècle. Le Dominiquin, le dernier de cette race illustre, honorait seul le siècle suivant ; encore ses ouvrages, tout empreints qu’ils sont d’un sentiment profond, se ressentent-ils de la funeste direction des Carrache et de la décadence générale du goût. Le Dominiquin mort, tous les arts s’étaient abaissés ; la sculpture et l’architecture se dépravaient de plus en plus sous l’influence de Bernin et de Borromini. On en était venu, graduellement et par soif du nouveau, à trouver ingénieuses les fantaisies les plus extravagantes. Par horreur de la ligne droite, les statues et les bas-reliefs s’agitaient comme des corps tourmentés par un coup de vent ; attitudes, draperies, et jusqu’aux accessoires le plus obstinément immobiles, tout était flottant et contourné. Les graveurs se montraient dignes des peintres, des sculpteurs et des architectes. À force de pratiquer les doctrines de l’idéalisme, on était tombé en démence, et, au milieu de cet avilissement de tous les arts, on ne songeait, en se servant du burin, qu’à se montrer impétueux et inventif. c’est-à-dire que la puissance d’invention se traduisait par l’allongement excessif des tailles, l’impétuosité par la négligence du dessin. Les graveurs italiens, s’éloignant chaque jour un peu plus de la route qu’avaient tracée les maîtres, arrivèrent, par l’abus du procédé, à l’oubli des conditions essentielles de leur art, — si bien qu’à de rares exceptions près, on ne trouve plus, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, qu’une certaine adresse de main dans les œuvres de l’école qui, au temps de Marc-Antoine et de ses élèves, avait dominé toutes les autres.

Depuis les petits maîtres, héritiers d’une partie des talens et de la réputation d’Albert Dürer, l’Allemagne avait vu naître un nombre considérable de graveurs habiles, mais la plupart d’entre eux s’étaient expatriés. Les uns, confondus aujourd’hui avec la seconde génération des disciples de Marc-Antoine, avaient, on l’a dit, abandonné le style national pour la manière italienne ; les autres étaient venus s’établir en France ou dans les Pays-Bas ; un seul, Venceslas Hollar, s’était fixé en Angleterre[1]. La guerre de trente ans acheva la ruine de l’art allemand,

  1. Hollar n’est pas seulement un des graveurs les plus distingués de l’Allemagne. Peu d’artistes, dans les autres pays, ont usé des ressources de l’eau-forte avec autant d’intelligence et d’habileté : il n’en est peut-être pas un qui, dans ce genre de gravure, ait excellé comme lui à rendre les détails d’ajustement et les objets les plus délicats. Ainsi que le poète Gilbert, qui, dans le siècle suivant, vendait, dit-on, pour vivre, des quatrains aux confiseurs de la rue des Lombards, Hollar était obligé de se condamner aux plus humbles travaux. Victime de la cupidité des libraires et des marchands d’estampes, il gagnait à grand’peine le pain de la journée, et il finit par entrer, à soixante ans, dans un hôpital où il mourut. Son œuvre est composé de plus de deux mille pièces qui méritent, malgré l’exiguïté de la dimension et l’infériorité des sujets, d’être classées parmi les ouvrages les plus exquis qu’ait produits la gravure à l’eau-forte.