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en 1815, Beethoven fut l’objet des attentions les plus délicates de la part des princes coalisés, et après une longue maladie qu’il fit en 1825, miné par les chagrins domestiques, par le délaissement de l’opinion que Rossini occupait alors tout entière, usé par les secousses et la fièvre de son génie, il mourut à Vienne le 26 mars 1827, âgé de cinquante-six ans trois mois et neuf jours. Beethoven était d’une forte stature, qui rappelait celle de Haendel et de Jomelli. Sa tête puissante, ses cheveux abondans et fortement enracinés, son front ample, ses sourcils épais et fauves sous lesquels on voyait luire son regard dominateur, ses traits vigoureusement dessinés comme ceux de Gluck, tout, dans Beethoven, annonçait la passion, la fougue et la ténacité victorieuse. Il y avait du Mirabeau dans cet homme-là et parfois du Danton.

L’auteur de Fidelio ne s’est jamais marié. Malgré son infirmité, qui aurait exigé les soins d’une femme simple et dévouée, il ne voulut point contracter un lien qui pouvait gêner son essor et limiter le jeu de la destinée. Il aimait les hasards de la fortune, et son cœur, comme son imagination, redoutait la discipline et le joug de la loi admise. D’ailleurs son caractère difficile, son tempérament nerveux, son humeur sauvage et cette mélancolie indéfinissable, qui est le partage de tous les hommes supérieurs, ainsi que l’a remarqué Aristote[1], parce que les hommes supérieurs ont bien vite compris que cette vie n’est qu’un mirage fallacieux, — toutes ces aspérités enfin n’auraient pu être supportées que par une main délicate et pieuse. Beethoven recherchait la solitude, où se conçoivent les grandes choses, car le bruit de la foule vulgaire effarouche la pudeur de l’ame et dissipe les idées fécondes, qui s’envolent alors comme une troupe d’oiseaux à l’approche du voyageur. Il fuyait dans les bois, dont il aimait à respirer les senteurs enivrantes et à écouter le mystérieux susurrement, ces soupirs de la nature qui semble tressaillir sous les baisers de l’homme qui la féconde. Il a passé les trois quarts de sa vie dans les rians villages de Bade et de Hetzendorf, qui bordent la forêt de la résidence impériale de Schoenbrun. C’est sous les ombrages de cette belle forêt qu’il a composé, en 1800, l’oratorio du Christ au mont des Oliviers, et, en 1805, son opéra de Fidelio. Beethoven connaissait les grands poètes de tous les pays ; Homère, Goethe, Schiller et surtout Shakspeare étaient ceux qu’il lisait le plus souvent. Il travaillait beaucoup, et surtout pendant les heures avancées de la nuit. Sa pensée, lente à s’élaborer, n’arrivait à son terme qu’après de nombreux tâtonnemens dont ses manuscrits conservent la trace. Il y a tel ouvrage, Fidelio par exemple, qu’il a écrit en entier jusqu’à trois fois. Le caractère de Beethoven

  1. Dans ses Problèmes.