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sonne ; loin de faire un mystère de ce mécanisme fort simple, les missionnaires en abandonnaient le jeu aux néophytes eux-mêmes. Cependant le regard du Christ, joint au peu de paroles qu’elle avait écoutées et comprises, foudroya la mère désolée : elle s’était précipitée à genoux comme ses voisins ; comme eux, elle avait baisé la terre sans savoir ce qu’elle faisait ; puis, bouleversée par les émotions de cette soirée, elle se sentit défaillir, et resta couchée sur la poussière. La multitude, qui commençait à s’écouler, bourdonna autour d’elle avec un murmure qui ne servit qu’à l’étourdir davantage. Le bruit se répandit qu’une femme venait de se trouver mal ; quelques gens, mieux avisés que les autres, firent reculer ceux qui regardaient la pauvre Padmavati sans songer au moyen de la rappeler à la vie. On lui jeta de l’eau au visage, et, dès qu’elle rouvrit les yeux, on la porta dans une maison voisine. Quand elle fut assez remise pour indiquer aux charitables personnes qui l’avaient recueillie son nom et sa demeure, on l’aida à retourner chez elle. Son mari ne savait que penser de cette absence si prolongée ; dès qu’elle l’aperçut, Padmavati se précipita à ses genoux, lui prit les mains en s’écriant, avec l’exaltation du délire — Je le retrouverai ; tu sauras tout, et tu me pardonneras ! Tu me pardonneras, et tu m’aimeras encore !…


V. – La veuve.


Les Hindous, superstitieux et crédules, attribuent toujours à l’influence immédiate d’une divinité ou d’une constellation les malheurs qui les accablent dans le courant de la vie ; aussi sont-ils, plus que les peuples de l’Occident, faciles à abattre et résignés à leur sort. S’ils manquent de courage pour lutter contre un destin ennemi, au moins la foi qu’ils ont dans la métempsycose les rend-elle moins sensibles aux maux d’une existence qu’ils regardent comme une première épreuve. Le plus misérable mendiant espère renaître sous la forme d’un puissant et riche nabab ; l’homme que de cruelles maladies ont rendu difforme et hideux se console en pensant que son ame entrera un jour dans un corps doué des trente-deux qualités qui constituent dans l’Inde l’idéal de la beauté et de la grace. C’est ainsi qu’en abandonnant le présent au destin, ils se réservent l’avenir ; c’est pour monter d’un rang dans l’échelle des êtres qu’ils s’imposent souvent de rudes pénitences et des expiations insensées. Tout soldat qu’il était, le cipaye Pérumal prenait très au sérieux les pratiques de la religion dans laquelle on l’avait élevé. Tous les lundis, il rendait un culte spécial au garouda, bel oiseau de proie de la famille des aigles, qui détruit une grande quantité de reptiles, et que pour cette raison sans doute les brahmanes ont déifié en le surnommant la monture du