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point du jour, les hommes sont réveillés, et font leur premier repas. Les femmes mangent à part. On prend le bouillon avec des coquilles, les légumes avec les doigts. Les hommes vont ensuite à la chasse ou à la pêche, et les femmes préparent un second déjeuner. Entre neuf et dix heures, les chasseurs reviennent et mangent ; puis ils s’étendent sur le sable, ou, si le soleil est trop brûlant, ils rentrent dans les maisons et se mettent dans leur hamac, ou ils fument et dorment. Les femmes, pendant ce temps-là, vont aux champs déraciner des yucas, que les sauvages mangent grillées, en guise de pain, et ramasser du bois mort ; elles reviennent au logis et préparent un bon repas, que les hommes dévorent à midi. Jusqu’à trois ou quatre heures, moment où le soleil perd de sa force, ils s’occupent de raccommoder leurs arcs, de faire des flèches, et d’autres petits travaux qui ne demandent ni industrie ni efforts. À trois heures, nouveau repas et nouveau départ pour la chasse. Au coucher du soleil, ils rentrent, soupent et vont se coucher. Voilà bien comptés cinq repas, et cinq copieux repas, où figurent, outre les légumes, le gibier tué à la chasse et le poisson péché dans la journée. Un matin, ils rapportèrent un grand singe femelle, avec son petit macaque, qui n’avait pas voulu quitter le corps froid de sa mère. Ils dépecèrent le grand singe, et le mirent bouillir dans une large marmite en terre. L’eau chaude dépouilla bien vite les membres velus du singe, et la peau resta blanche comme celle d’un enfant. Pendant l’ébullition, la tête, les bras et les jambes de l’animal montaient à la surface de l’eau, et me rappelaient tous les contes d’anthropophages. Malgré ma répugnance, je mangeai de bête, dont la chair était noire et le goût absolument semblable à celui du mouton.

Les laides, les misérables femmes que les femmes sauvages ! Mariées dès l’enfance, chargées des soins du ménage et des travaux des champs, elles sont à vingt ans décharnées et flétries. Leurs maris les traitent avec l’indifférence la plus dégradante, et les pauvres créatures acceptent doucement leur sort ; mais on ne les voit jamais rire ou se livrer, ainsi que leurs maîtres et seigneurs, à de joyeux ébats. Leur devoir est d’écouter et de se taire ; elles ont pendue au nez une plaque d’argent, ronde et large comme une piastre, qui leur couvre la bouche. Pour manger, elles sont obligées d’écarter cette plaque avec la main gauche, tandis que la main droite introduit es alimens.

Dans une des cabanes du village, au fond d’une chambre, il y avait un amas de branchages qui formait une sorte de hutte, haute de trois à quatre pieds. Curieux de savoir ce que cachent ces branches, je m’en étais approché, quand une femme accourut et me tira par le bras, en cherchant à m’expliquer vivement une chose que je ne pouvais comprendre, vu mon ignorance de la langue antis. Tadeo, que je questionnai à ce sujet, m’apprit que, pendant quelques jours de chaque