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des images et de grouper des mots, cette classe, de rhéteurs et d’artistes semble appeler, plus qu’aucune autre, l’intervention des règles éternelles qu’elle dédaigne et des salutaires entraves dont elle prétend s’affranchir. En relisant les discours de M. Hugo, nous nous sommes souvenu qu’un grand penseur avait écrit d’autres discours, qui étaient une réfutation indirecte de ces brillantes amplifications. D’éloquentes pages écrites par Fichte sur les Devoirs du savant et de l’homme de lettres nous sont revenues en mémoire. Eh bien ! que cherchait à établir Fichte dans ses admirables Discours ? Était-ce la prééminence de l’homme de lettres sur le citoyen, des devoirs littéraires sur les devoirs généraux, cette erreur contemporaine dont on retrouve les traces à toutes les pages du petit livre de M. Hugo ? Non, c’était l’union de l’homme et de l’artiste, du citoyen et de l’écrivain, que Fichte glorifiait avec un noble enthousiasme, et le défenseur était vraiment digne ici de la cause qu’il avait embrassée.

M. Victor Hugo personnifie le désaccord monstrueux qui existe entre l’homme de lettres et la société moderne : Fichte a posé les conditions d’un pacte d’alliance entre la puissance intellectuelle et la morale générale ; mais cette alliance est-elle possible ? Pour qu’elle le soit, il faut que l’homme et l’écrivain ne soient pas deux êtres entièrement distincts, qu’entre ces deux natures il y ait quelques liens, quelques points d’affinité. C’est à mettre en relief ces rapports possibles qui existent entre l’écrivain et l’homme qu’un grand humoriste anglais, Thomas Carlyle a consacré son roman du Sartor resartus. Raconter la vie de l’homme de lettres moderne, nous faire assister à ses douleurs, à ses efforts, nous dresser l’inventaire de ses doutes et nous le faire suivre à travers tous les chemins bons ou mauvais, rudes ou faciles, du pèlerinage de la vie, — tel est le but que s’est tracé Thomas Carlyle en écrivant Sartor resartus. Avec l’humoriste anglais, nous avons comme la solution du problème discuté par Fichte, et indirectement soulevé par les discours de M. Hugo.

Ce problème, nous voudrions l’agiter à notre tour après l’avoir résumé en trois questions : Quelle est l’origine de la profession d’homme de lettres ? – Quels devoirs a-t-on fait découler de cette profession ? quels devoirs impose-t-elle réellement ? — Quelle situation enfin a créée aux lettres l’erreur où l’on est tombé relativement aux devoirs littéraires, et quel serait le moyen d’y mettre un terme ?

Si quelques-uns de nos pères sortaient de leurs tombeaux, et s’ils nous demandaient quels sont aujourd’hui les chefs de -la société, à coup sûr notre réponse les surprendrait fort. Combien de fois déjà l’Europe n’a-t-elle pas changé de guides ? D’abord ce furent les rois et les prêtres, êtres mystérieux et presque invisibles, porteurs de signes