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long-temps la ville et la cour ; elles ont été résolues en sens divers, et la passion des partis y a trouvé un long sujet d’attaques calomnieuses et de récriminations virulentes. Tandis que les amis du comte de Provence reniaient M. de Favras, le traitaient d’aventurier inconnu, dont les projets même n’étaient jamais arrivés jusqu’à l’oreille du prince, les partisans de la révolution affichèrent tout à coup une grande commisération pour celui qu’ils avaient fait périr, et accusèrent Monsieur d’être le vrai coupable. Le général en chef de l’armée de Paris, qui s’exagéra toujours l’importance de cette prétendue conspiration, qui la suivit du regard dès le début, M. de Lafayette, dont l’aide-de-camp se trouve mêlé dans toutes les pièces de la procédure à toutes les menées du comité de recherches, s’explique très formellement à cet égard dans ses mémoires : « Favras, dit-il, est mort en héros de fidélité et de courage. Monsieur, son auguste complice, a manqué de l’un et de l’autre… Ce prince ne fut pas étranger au projet de renverser Bailly et Lafayette… Le projet de les assassiner n’est pas douteux, quoiqu’il ait été nié par Favras. Il avait été question aussi de levées secrètes déjà commencées, de l’emprunt secret de Monsieur, de l’enlèvement du roi à l’aide des chevaux de sa maison ; mais tout fut déjoué par les mesures de l’Hôtel-de-Ville[1]. » Plus loin, il ajoute que la conspiration, d’après ce que lui aurait dit plus tard M. de Cormeré, « pourrait avoir été différente de celle qu’on a publiée, et que les papiers du vrai complot, recueillis par M. Talon, ont été remis à Louis XVIII par sa fille, et sont devenus l’occasion de ses relations avec lui. »

Il ne faut admettre qu’avec une grande réserve cette dernière supposition, bien que M. Droz soit venu l’appuyer dans son Histoire du règne de Louis XVI par un témoignage qui serait très frappant, s’il n’était anonyme. Il est bon toutefois de remarquer en passant que M. de Lafayette admet que la conspiration de Favras pourrait avoir caché d’autres projets que ceux qui ont motivé son arrestation. Dans tous les cas, le commandant-général croyait le comte de Provence coupable, et peut-être n’en était-il pas très fâché. Outre la déclaration que nous avons citée, il semble avoir fait à un Américain de ses amis, le lendemain de l’arrestation de Favras, une confidence fort grave que l’on s’étonne de ne point trouver dans ses mémoires. Voici ce que Gouverneur Morris raconte dans son mémorial écrit jour par jour : « 27 décembre… Après dîner, Lafayette nous conduit, Short et moi, dans son cabinet. Là, il nous dit que depuis long-temps il avait connaissance d’un complot ; qu’il l’a suivi à la trace, qu’il a enfin arrêté M. de Favras, qu’on a trouvé sur lui une lettre de Monsieur, laquelle semblait prouver que Monsieur n’y était que trop impliqué ; qu’il s’était rendu,

  1. Mémoires du général Lafayette, tome II, p. 392.