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le goût du carnage. Ceux-là mêmes qui, tout en appartenant au parti de la révolution, n’avaient pas un intérêt aussi direct à défendre leur œuvre dans la juridiction du Châtelet et son entourage, ne s’y laissèrent pas tromper. « Les juges du Châtelet, dit formellement Prudhomme dans les Révolutions de Paris, s’étaient arrangé de manière à ce que la haine du peuple eût un aliment au moment où l’élargissement de Besenval éclaterait. Il ne sortit du Châtelet que dans la nuit du 29 au 30, et dès le matin, ce même jour, on annonçait partout que les juges étaient assemblés pour juger le sieur Favras, qui serait infailliblement condamné à perdre la tête… A onze heures du soir, on répandit que le jugement était prononcé, et dès le lendemain des colporteurs privilégiés crièrent d’une manière si lugubre le grand jugement qui condamnait à mort le sieur Favras, qu’on ne pouvait guère réfléchir à l’élargissement de Besenval, qu’ils annonçaient en même temps. C’est une remarque qui a été faite dans toutes les classes que Favras était victime de Besenval. » L’avocat Thilorier, qui défendit le marquis de Favras avec beaucoup de chaleur, bien qu’il fût un patriote très ardent, fit la même remarque, et il accusa courageusement les agens du comité des recherches. « Le sieur Morel, s’écria-t-il, avoue lui-même s’être proposé pour être l’assassin de M. de Lafayette. Il faut de deux choses l’une, ou que Morel se soit en effet rendu coupable de la préméditation de cet assassinat, ou qu’il se soit accusé faussement d’un crime imaginaire dans la vue de donner plus de poids à son accusation. Dans l’un et dans l’autre cas, Morel est un homme infâme… vous devez repousser de pareils témoignages. » Il ajoutait : « Je suis aussi bon patriote, aussi zélé partisan de la révolution que qui que ce soit ; on le sait. J’ai parlé liberté sous les verrous de la Bastille, et je ne crois pas devoir, pour les besoins de ma cause, désavouer les principes que j’ai hautement professés. Étranger à la personne de M. de Favras, j’ai dû surmonter pour le défendre bien des répugnances ; mais la vérité que j’entrevois me force à parler avec cette chaleur que vous excuserez. Le marquis de Favras jouit du funeste honneur d’être le premier accusé sur la tête duquel se trouve suspendu le nouveau glaive dont le pouvoir législatif vient d’armer vos mains[1]. S’il a désiré de voir rétablir en France le despotisme antique, qu’il soit rangé, j’y consens, dans la classe des mauvais citoyens ; mais, s’il s’en est tenu là, il échappe à la censure des lois, qui ne punissent ni les folles ambitions, ni les vains désirs des hommes. »

Dans une péroraison très éloquente, M. Thilorier signala si vivement les influences sous lesquelles se débattait le tribunal, que le président

  1. Le tribunal du Châtelet, sorte de haute cour appelée à juger les procès politiques, avait été institué en septembre 1789 par un décret de l’assemblée, rendu sur la demande de M. de Lafayette.