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avec leurs mouchoirs. Tel était l’aspect de cette salle, lorsqu’à minuit, M. de Favras ayant été emmené par ses gardes, on lut à haute voix le jugement qui le condamnait à faire amende honorable devant Notre-Dame[1], nu-pieds, nu-tête, en chemise, la corde au cou, une torche ardente à la main, et à être ensuite conduit dans un tombereau à la place de Grève pour y être « pendu et étranglé jusqu’à ce que mort s’en suive. »

L’exécution à cette époque devait avoir lieu dans les vingt-quatre heures. M. de Favras avait été conduit à la chambre de la question. Le rapporteur, M. Quatremère, quand il vint lui lire son jugement, le trouva assis devant une petite table, éclairée par une chandelle, et la tête appuyée sur sa main. Il se leva respectueusement à l’entrée du magistrat, et écouta son arrêt avec beaucoup de tranquillité. Deux ou trois fois seulement il interrompit la lecture en disant : Tous ces faits sont faux ; je suis incapable d’attenter aux jours des chefs de l’état ; pour qui donc me prend-on ? Après la lecture, le rapporteur ajouta fort naïvement : « Monsieur, votre vie est un grand sacrifice que vous devez à la sûreté et à la tranquillité publiques. » Le marquis de Favras alors, lui jetant un regard plein de dédain, lui dit : « Monsieur, puisqu’il était besoin, pour la tranquillité de ce pays, de la vie d’un honnête homme, il vaut mieux que votre choix soit tombé sur moi que sur un autre, car je montrerai à vos Parisiens comment un gentilhomme sait mourir. » M. Quatremère, un peu embarrassé et ne sachant plus que dire, ajouta en manière d’adieu : « Je n’ai d’autre consolation à vous donner que celles que vous offre la religion, je vous invite à en profiter. — Monsieur, répondit le marquis de Favras, mes plus grandes consolations sont celles que me donne mon innocence. Je suis la victime de deux scélérats, et c’est vous, messieurs, que je plains. Je demande M. le curé de Saint-Paul pour confesseur. »

Le lendemain, il passa toute la matinée avec ce prêtre. Vers onze heures, le greffier Drié se présenta dans la prison et demanda au condamné, par ordre du tribunal, la croix de Saint-Louis, dont il était décoré : « Un soldat, monsieur, répondit le marquis de Favras, ne peut pas être dégradé par un greffier ; » puis, s’adressant à un sergent-major, nommé Jacques Bruyant : « Tenez, camarade, lui dit-il avec beaucoup d’émotion, voilà ma croix ; elle avait été, croyez-le bien, loyalement conquise, et je l’ai loyalement portée. » Il s’entretint ensuite jusqu’à deux heures avec son confesseur. En le quittant, il fit appeler de nouveau le greffier et lui demanda avec inquiétude si on

  1. Étrange contradiction ! En 1790, il y a soixante et un ans, on maintenait ces cérémonies du passé ; le peuple trouvait bon que le condamné demandât pardon à Dieu, qu’on allait supprimer et, dont on insultait les temples chaque jour, — au roi, qui était prisonnier, et pour lequel précisément mourait M. de Favras.