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nous avons des poètes libéraux, démocratiques, socialistes, politiques, des poètes de parti enfin, et non pas des poètes populaires dans le vrai et dans le bon sens du mot.

On le voit, il y a tant de difficultés à vaincre pour devenir un poète réellement populaire, que ce genre de poésie est à peu près impossible. Il n’y a donc de vraie poésie populaire que celle qui est créée par le peuple lui-même. Tous les grands génies poétiques semblent l’avoir compris. Ils ne se sont jamais inquiétés spécialement de peindre les mœurs du peuple ou les mœurs de l’aristocratie ; ils se sont contentés de raconter les impressions que la vie générale avait produites en eux. Dante, Molière, Shakspeare, Cervantes, ont fait, si nous pouvons nous exprimer ainsi, de la poésie humaine, et ils se sont servis indifféremment de tous les élémens que leur présentaient la société et la nature. Ils sont populaires, me dit-on ; oui, si nous élargissons la signification de ce mot, si nous en changeons légèrement l’acception ; ils sont populaires, parce qu’ayant peint avant tout l’homme éternel, ils peuvent être compris par tous les esprits. La véritable vertu des poètes, c’est d’être humains ; ils laissent aux hommes de parti et aux politiques de profession le soin des récriminations et des colères ; ils expriment dans leurs œuvres les modifications que l’être général de l’homme subit en passant à travers les différentes conditions de l’existence, les altérations que lui font éprouver les mœurs, les professions et tous les jeux de la fortune. Dans toutes les positions où ils le peignent, même dans les plus excentriques, c’est toujours l’homme et non pas la position qui domine. Bien différens en cela des écrivains de notre temps, qui peignent non plus le genre ou l’espèce, mais des individus qui sont, si complètement excentriques et tellement individuels, qu’ils constituent leur espèce à eux seuls : les grands poètes sont simplement humains, même ceux qui sont sortis directement du peuple, tels que Plaute et Shakspeare.

Le nombre des poètes populaires est donc infiniment restreint, et, dans les temps modernes (la poésie populaire n’existe d’ailleurs que depuis le christianisme), on n’en compte que deux qui soient réellement remarquables, Robert Burns et Hebel. À côté d’eux, on pourrait encore citer Allan Ramsay et Burger, et la liste serait à peu près complète. Les deux premiers sont les seuls vraiment grands, parce qu’ils n’ont pas seulement un ton unique comme les deux autres, parce qu’ils n’ont pas seulement l’âpreté et la réalité des descriptions d’Allan Ramsay, ou les sourdes colères plébéiennes de Burger, mais parce qu’ils comprennent et reproduisent la vie du peuple dans toutes ses nuances et dans ses plus intimes délicatesses. Robert Burns, enfant du peuple, paysan, laboureur, doit à sa mauvaise fortune d’avoir pu rester un vrai poète populaire. Les dernières années de sa vie, l’époque où, devenu