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un effet glacial. Elles ne font pas rire des choses dont rit le poète, et elles ne font pas non plus naître de colère contre lui. Il en est une, le Dieu des bonnes gens, qui contient plusieurs belles strophes, mais dont le refrain m’a toujours pénétré d’une grande tristesse. Singulière religion, en vérité, que celle qui consiste à prier Dieu les coudes sur la table et le verre en main ! comme dit le refrain même. — On peut lui passer toutes ses chansons contre les personnes, les mandemens et même les institutions ; mais il nous est impossible de ne pas trouver assez maigre la morale du déisme telle qu’elle se présente dans ces chansons, et nous avouons qu’il nous semblerait très difficile de discerner, au moyen de ce code et de cette religion de bon vivant, ce qui est permis de ce qui ne l’est pas. Nous trouvons donc que Béranger a outragé ou plutôt égratigné quelques-unes des vertus les plus désirables chez le peuple ; nous trouvons qu’il a souvent manqué de respect envers les choses les plus saintes, et qui lorsque nous avons le malheur de ne pas y croire, méritent au moins que nous gardions le silence ; de tous les moyens de popularité il a employé le pire. Ce que nous venons de dire peut paraître audacieux, mais il est juste que chacun prenne sa part de responsabilité, et ne croie pas en être exempt, parce qu’il a la modestie ou la finesse de se tenir constamment à l’écart.

Depuis Béranger, les tendances des esprits ont bien changé. Les événemens politiques, les crises de l’industrie et surtout la révolution de février ont fait naître en foule des poésies démocratiques, socialistes, qui ne sont pas précisément ce qu’il y a de plus innocent au monde, Nous ne chercherons pas si ces poésies s’accordent avec l’idée du poète populaire telle que nous l’avons exposée, ce serait peine perdue ; nous n’aurions point songé à en parler, si au milieu de ce fatras ne s’était pas rencontré un petit volume plein d’idées fausses, de sentimens incomplètement exprimés, mais où se révèle un talent qui pourrait être mieux dirigé et mieux employé.

De tous les jeunes poètes qui, depuis quelques années, ont tenté d’exprimer les sentimens populaires, le plus célèbre à coup sûr et le seul vraiment distingué est M. Pierre Dupont, l’auteur d’un recueil de chansons récemment publié sous le titre de Muse populaire. Le mérite de ces chansons peut être discutable, mais non pas la vogue de popularité qu’elles ont obtenue. Ces chansons ont été bruyamment chantées dans la rue et accompagnées sur les élégans pianos des salons de Paris. Le jeune poète a fait coup double, et a conquis à la fois la popularité et la mode. C’est beaucoup, qu’il prenne garde d’avoir trop réussi. Nous croyons qu’il cherche trop le succès et qu’il éprouve trop de joie de l’avoir obtenu ; mais qu’il sache bien que le succès facile n’est jamais un bon signe, et que d’ailleurs, pour le trouver, le meilleur est de ne pas courir après lui. « Veux-tu trouver une chose ?