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portées dans, ce que j’ose à peine appeler ma carrière politique. Ces sentimens je les ai toujours ; les opinions que j’ai soutenues reposaient dans mon esprit et dans mon ame sur de trop fermes fondemens pour qu’un jour ait pu m’ébranler, et me jeter, vivant, dans ce néant, dans ce chaos, dans cette confusion lamentable où la France est tombée et s’agite douloureusement. Je le déclare ou le confesse : je suis ce que j’étais le 23 février 1848, et la tragique expérience qui est intervenue, loin d’affaiblir, n’a fait que fortifier en moi les principes que j’ai tant de fois exprimés et défendus, soit au pouvoir, soit dans l’opposition. Grace à Dieu, je ne les ai pas perdus en perdant le reste. Dans la nuit qui s’est faite autour de nous, ils sont encore, à mes yeux, l’étoile qui guide les sociétés modernes, et donne à leurs mouvemens les plus désordonnés en apparence un objet certain et bienfaisant ; ils dominent toutes les formes de gouvernement, et en même temps ils déterminent celle qui convient le mieux à la France et à l’Europe ; enfin ils prescrivent à tous les gouvernemens la seule conduite qui les peut soutenir en satisfaisant aux besoins et aux vœux légitimes des peuples. C’est sous ces divers aspects que je veux les considérer rapidement, et leur rendre un dernier et fidèle témoignage.


I

Mes principes politiques ne sont pas longs à exposer. Je ne les emprunte point à un système abstrait et arbitraire éclos dans les rêves d’un solitaire ; je les tire du foyer même de la réalité la plus vive, de la conscience populaire : ils se réduisent à l’intelligence et à l’amour de la révolution française.

Je suis ne avec la révolution française. Dès que mes yeux se sont ouverts, j’ai vu flotter son drapeau, tour à tour sombre et glorieux. J’ai appris, à lire dans ses chansons : ses fêtes ont été celles de mon enfance. À dix ans, je savais les noms de ses héros. J’entends encore au Champ de Mars et, sur la place Vendôme les éloges funèbres de Marceau, de Hoche, de Kléber, de Desaix. J’assiste aux revues du premier-consul. Je vois ce grand visage pâle et mélancolique, si différent de la figure impériale, telle surtout, qu’elle m’apparut une dernière fois sur la terrasse de l’Élysée, à la fin des cent-jours. Mon instinct patriotique ne s’est pas laissé un moment surprendre à l’éclat d’une dictature militaire que je ne comprenais pas. Je n’ai compris, je n’ai aimé que les conquêtes de la liberté. En 1812, j’étais déjà suspect dans l’Université d’un attachement, mal dissimulé à sa cause proscrite, et j’y suis demeuré fidèle parmi les vicissitudes d’une vie souvent orageuse. Je m’honore d’avoir été dans tous mes ouvrages, depuis le premier jusqu’au dernier, dans la chaire comme à la tribune, son