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de la force réelle du pays. Les pâtres de la pampa savent obéir au chef qu’ils se sont chois, les citadins ne le savent pas. Francia n’a pas eu d’autre secret ; ce fut aussi celui du fameux Artigas dans la Bande orientale ; Lopez, à Santa-Fé, n’a pas fait autre chose, et ainsi fera tout homme qui voudra fonder dans l’Amérique du Sud un pouvoir durable.

Veut-on saisir d’un seul regard ce mouvement de l’autorité qui, partant de la tête, embrasse tout le pays, pénètre au foyer du moindre citoyen et serre à la gorge l’homme de la ville ? La République Argentine admet deux pouvoirs : l’exécutif, — Rosas, gouverneur ; — le législatif, une chambre des représentons à l’élection de laquelle le gouverneur a grande part. Sous l’autorité immédiate du gouverneur viennent : — l’armée, — la garde nationale, — l’administration ou police.

L’armée se recrute aisément. Nous l’avons dit tel est le caractère des gauchos, qu’il suffit de leur mettre à la main une lance, de leur donner un cheval, un recado (selle), une casaque, pour en faire des soldats. La garde nationale se divise en deux sections distinctes : — les patricios, garde mobile qu’on incorpore au besoin par compagnies dans l’armée ; c’est l’élément jeune et viril ; — les civicos, garde sédentaire, vieillards ou enfans pour la plupart ; on leur confie en temps de guerre la garde des villes.

Le système administratif, est fort simple. Tout le pays est divisé en districts, et chaque district obéit à trois fonctionnaires nommés par le gouverneur : le juge, de paix, le commissaire, l’alcade. Les fonctions de juge de paix sont multiples : elles comprennent l’administration portique, qui chez nous appartient aux préfets, et les attributions judiciaires en première instance ; de plus, le juge de paix est le commandant né des civicos de son district. — Le commissaire exerce des fonctions purement administratives, et qui équivalent à celles de nos maires. — L’alcade est un officier de police ; il a des lieutenans chargés et responsables chacun d’une manzana ou quadra (île de maisons). Les lieutenans-alcades sont tenus de connaître toutes les familles de leur quadra et répondent de ce qui s’y passe. Ils sont organisés en compagnies commandées par des alcades-capitaines, et réunis en un corps unique dont le chef de police est le colonel. Les serenos (gardes de nuit) en dépendaient autrefois, le général Rosas en fait un corps à part sous ses ordres immédiats. Par eux, son œil est ouvert dans les ténèbres, son oreille entend jusqu’aux épanchemens les plus intimes. Quand le silence et la nuit s’étendent sur Buenos-Ayres, la lampe du gouverneur s’allume au sommet de la tour élevée qu’il habite, et les gauchos se la montrent comme le génie de la patrie qui veille encore sur la ville endormie.

Tel est le système de politique intérieure adopté par le général Rosas ; sa politique extérieure s’appuie de même sur un sentiment très vif chez les gauchos, et qui leur est commun avec toutes les populations de l’Amérique du Sud c’est le sentiment de leur indépendance nationale vis-à-vis