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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/170

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la frontière, traqua Rivera de position en position jusqu’à le forcer à s’enfuir comme un proscrit au Brésil, et investit Montevideo.

Au moment même où leur armée presque évanouie était resserrée dans l’enceinte de la ville, les proscrits argentins firent apparaître Montevideo comma l’ame d’un peuple énergique qui, réfugié sur ce dernier promontoire de sa terre natale, défendait jusqu’à la mort sa nationalité contre un conquérant impitoyable. Pélage dans les Asturies n’avait-il pas ainsi sauvé l’Espagne des Maures qui l’avaient conquises ? Mais il fallait quelque chose qui représentât ce noble peuple armé : nos nationaux furent leur fait. Si Francia, si Lopez, si Rosas ont fondé l’autorité en maîtrisant les passions des gauchos, Rivera n’en a jamais été que le jouet. Sous lui, point d’autorité, point de gouvernement, ou tout au plus un fantôme d’administration ; licence absolue de déblatérer en plein air contre le pouvoir. Entre le système sévère de Rosas, représenté par Oribey et le laisser-aller de Rivera, nos Français, ceux du moins qui avaient émigré de Paris ou des grandes villes eurent bientôt choisi. Trouver tout ensemble l’occasion de jouer au soldat, de narguer leur gouvernement et de soutenir un pouvoir d’estaminet, quelle aubaine ! Ils s’enrôlèrent et formèrent une légion qui, reniée par la France, a pris, avec les condottieri de Garibaldi, les couleurs étrangères. Le salut de la ville était assuré : avec une pareille garnison, Montevideo, bâtie à l’espagnole, comptant, autant de forteresses que d’îles de maisons, pouvait braver toutes les armées argentines ; mais il fallait de l’argent on vendit les églises, les places publiques, les monumens nationaux, et jusqu’aux murs de la ville ; on engagea à usure le revenu de l’état. Quand il s’était agi de prendre les armes, les Anglais s’étaient prudemment tenais à l’écart ; mais, comme l’araignée tend sa toile aux moucherons, ainsi ils spéculèrent sur les folles passions qui leur offraient de si grands et si faciles profits. C’est à des maisons anglaises que toutes les propriétés nationales de la ville ont été engagées. Faut-il un trait encore pour achever de faire connaître Montevideo ? La force armée qui défend la place ne compte pas quatre cent cinquante soldats orientaux.

Tel est le sacré et dernier asile de la nationalité orientale qu’il prit un jour fantaisie à l’Angleterre et à la France d’interdire à l’ancien président Oribe soutenu de ses auxiliaires argentins : l’Angleterre, vivement sollicitée par le Brésil et dupe de rapports mensongers ; le gouvernement français, bien éclairé, mais voulant donner ce gage à l’entente cordiale. Nous nous dispenserons de caractériser cette intervention, qui, impuissante dans ses efforts, n’a abouti qu’à un dénouement ridicule.

Dès que l’Angleterre se fut aperçue qu’on l’avait entraînée dans une folle voie, où elle sacrifiait son commerce à des calculs chimériques,