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des autres ! Ce fut l’art admirable des unitaires de faire croire à la France que le sort de nos nationaux dépendait de Montevideo, que nous serions chassés de la Plata par Rosas, si son lieutenant Oribe entrait dans cette ville qu’il voulait livrer au carnage. Si l’on redoute si fort de voir nos anciens légionnaires sous la loi d’Oribe, que ne traite-t-on avec le général Rosas du transport des plus compromis dans les anciennes missions de l’Uruguay, possédées aujourd’hui par un Français[1] ? Peut-être le gouverneur de Buenos-Ayres trouverait-il quelque intérêt à établir cette population entre le Brésil et le Paraguay.

Nous n’irons pas plus loin. Dans cette étrange question, dès qu’on s’écarte de l’intérêt commercial de la France, on n’étreint plus que de ruineuses chimères. Nous tenons la clé des interminables discussions dont elle est l’objet. Il y a là deux politiques en présence : l’une réelle et d’action pratique, qui ne voit dans cette affaire que ce qui s’y trouve en effet, le développement du commerce de la France ; l’autre, fantastique, qui sacrifie le certain à l’imaginaire, qui croit qu’on sème la population dans les déserts comme le soleil y répand la lumière, qui, voyant l’impuissance de ses rêves, en appelle aux armes comme pour faire sortir le droit de la violence, qui demande de grandes expéditions sans trop se soucier si nos finances peuvent les supporter, s’il est vraiment au pouvoir des armes de conquérir ce que nous cherchons, ou si, au contraire, l’emploi de la force ne compromettrait pas l’établissement pacifique que nous avons eu tant de peine à fonder. Et la passion qui éclate dans ces discussions ne tient-elle pas à ce qu’on retrouve là le redoutable problème politique et social qui va se dénouer dans notre pays ? M. le contre-amiral Le Prédour s’est inspiré de l’intérêt vrai de la France. Répondant au vœu de plus de vingt-six mille de nos compatriotes, aussi bien ceux de la campagne orientale que ceux de la plaine de Buenos-Ayres unis à la partie notable de la population des villes ; dédaignant les clameurs des deux à trois mille légionnaires de Montevideo reniés par la France, et qui cependant ont trouvé le moyen de surprendre sa sollicitude ; écartant ce faux point d’honneur qui descend jusqu’à simuler une lutte d’orgueil entre la France et Rosas, il a consacré les conditions sur lesquelles l’intérêt et la dignité de chaque partie n’admettent pas de transaction : pour la France, la sécurité de son commerce, la protection de nos nationaux ; pour le général Rosas l’établissement à Montevideo d’un pouvoir qui ne mette plus sa tête à prix ; la paix pour tous. L’assemblée nationale veut-elle encore, malgré le découvert de nos finances, soutenir la politique des songes ?


TH. PAGE.

  1. M. Blaise Despouy.