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au milieu du feu plongeant des Kabyles rassemblés de tout l’Ouerenséris : il faudra bien, puisqu’il l’a décidé ainsi, que la colonne traverse victorieusement cet interminable coupe-gorge. Cette audace de responsabilité a jusqu’ici toujours été amnistiée par le succès.

Si tout part possible au général Changarnier dans l’attaque, rien ne paraît impossible au général Cavaignac dans la défense. Les longues épreuves militaires, c’est lui qui les accomplira en Afrique. Lorsqu’on ira débloquer quelque lointaine garnison, soit Tlemcen, soit Cherchel, c’est l’énergique figure du général Cavaignac qui vous apparaîtra toujours en tête de la garnison délivrée. Les généraux Lamoricière et Changarnier sont héroïques par bénéfice de nature ; c’est par la conscience du devoir que le général Cavaignac s’élève à l’héroïsme. Il est encore un autre général qui a marqué en Afrique, c’est le général Bedeau. Celui-ci est l’homme d’organisation militaire par excellence ; il est incontestablement le plus capable de tous – lorsqu’il est en second.

Après les hommes, il faut voir les corps. La création des zouaves et des chasseurs d’Afrique date des premiers jours de la conquête. De l’aveu de tous les étrangers qui ont pu les voir à l’œuvre, ces deux corps, l’un à pied, l’autre à cheval, sont sans rivaux en Europe. Les zouaves, ou voltigeurs d’Afrique, forment un seul régiment fort de quatre mille hommes. Dans le principe, il était en grande partie composé d’indigènes. Aussi les soldats portent-ils le costume turc, tandis que leurs officiers ont conservé l’uniforme européen. Les zouaves ont rendu illustres tous les colonels qui les ont commandés, Lamoricière, Cavaignac, Ladmiraut, Canrobert. Quant aux chasseurs d’Afrique, les Arabes ont comparé leurs charges irrésistibles au simoun poussé par un vent impétueux. Ni les montagnes, ni le désert, rien ne les arrête, et rien non plus ne peut donner une idée de la perfection de leurs manœuvres. On ne trouve jamais à punir chez eux que le courage, parce qu’il sort le plus souvent des limites prudentes imposées par la discipline. Les exploits isolés des chasseurs d’Afrique sont innombrables. Ce corps de cavalerie forme quatre régimens.

Les spahis, créés plus tard, sont des éclaireurs à cheval ; comme les zouaves, ils étaient et sont encore composés en grande partie d’indigènes et commandés exclusivement par des officiers français depuis le grade de capitaine. Les spahis n’ont qu’une ambition que leurs services ont quelquefois justifiée : c’est de pouvoir rivaliser avec les chasseurs d’Afrique.

On doit à l’heureuse initiative du duc d’Orléans (1838) la création des tirailleurs de Vincennes ou chasseurs à pied. L’organisation spéciale des tirailleurs de Vincennes, la portée extraordinaire de leur carabine (quatorze cents mètres), la justesse inévitable de leur tir à six mètres, les rendent plus propres encore que les zouaves à la guerre de montagne. Les zouaves ne sont pas plus habiles aux diversions,