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vêtu que les autres, et qu’il avait seulement des bas couleur de feu et une paire de cornes pour le faire reconnaître. Quand saint Antoine disait son Confiteor, ce qu’il faisait assez souvent, tout le monde se mettait à genoux, et se donnait des mea culpa si rudes, qu’il y avait de quoi s’enfoncer l’estomac.”

L’histoire du théâtre espagnol offre plus d’une analogie avec celle du théâtre grec. En Espagne comme en Grèce, le drame fut un complément obligé des fêtes religieuses ; comme Thespis, Lope de Rueda fut tout à la fois auteur et acteur ambulant ; la danse et la musique, ou du moins une déclamation cadencée, firent partie du spectacle. Enfin la prodigieuse fécondité des dramaturges espagnols est un rapport de plus avec les tragiques et les comiques grecs. Pour suivre encore plus loin la comparaisons j’ajouterai que la poétique du théâtre espagnol, bien que très différente de celle du théâtre grec, lui ressemble en ce point, qu’elle n’a pas fait de l’imitation de la nature le premier but de l’art ; et qu’au lieu de chercher à faire illusion aux spectateurs, elle les transporte, en quelque sorte, dans un monde idéal.

M. Ticknor a fort exactement indiqué le caractère romanesque du théâtre espagnol et les ressorts habituels de ses drames, mais j’aurais voulu qu’il nous eût expliqué pourquoi un peuple dont les romans ont peint avec tant de fidélité la nature et les mœurs nationales n’a, dans ses drames, que des tableaux de fantaisie. Tandis que les romanciers, observateurs exacts et souvent. profonds, ont reproduit aveu succès des individualités ou des vices répandus, les poètes dramatiques n’ont créé que des personnages de convention, agissant toujours d’après certaines règles invariables, accessibles seulement certaines passions héroïques, et dont la forme est toujours la même. Sauf de très rares exceptions, comme le Chien du Jardinier de Lope de Vega, ou l’Alcalde de Zalamea de Calderon où se trouvent des individualités remarquablement étudiées, les drames espagnols reproduisent uniformément les mêmes personnages : des amans jaloux et des pères fort chatouilleux sur l’honneur de leurs filles. À vrai dire même, la jalousie et le point d’honneur sont les seules passions qui défraient le théâtre espagnol. L’intrigue change, grace à l’inépuisable fécondité des auteurs, mais le fond demeure immuable. C’est encore la continuation de ce goût pour le genre héroïque que nous avons remarqué aux commencemens de la poésie espagnole, et ici ce ne sera plus l’état de guerre qui pourra l’expliquer.

Arrêtons-nous, un instant à examiner le style, encore plus étrange que le fond, des drames espagnols. Je le prends dans les auteurs les plus renommés, Lope et Calderon, qui ont fait école. Rien de plus en opposition avec nos idées françaises ; pour nous, ce style

Sort du bon caractère et de la vérité.