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d’opinions et, qu’il soit permis de le dire, de fantaisies religieuses. Le romantisme était passé de l’empire des songes dans le domaine des faits. Cette ingénieuse école, l’école des Novalis, des Goerres, des Brentano, dont la pensée fondamentale était l’adoration de je ne sais quel moyen-âge transfiguré, commençait à exercer une singulière influence sur les choses politiques. Des esprits d’élite rêvaient la restauration des vieilles mœurs et de l’antique foi religieuse pour en faire la base d’une grande monarchie patriarcale ; il y avait des réunions où ces curieux problèmes se discutaient comme dans une académie de philosophes ou dans un congrès de publicistes illuminés. Un grand nombre des hommes qui ont joué récemment un rôle prenaient part à ces controverses ; c’étaient, par exemple, le comte de Brandehourg, l’oncle de Frédéric-Guillaume IV, le vieux ministre dont la mort récente a compliqué si tristement la situation de la Prusse ; M. de Gerlach, le chef de l’extrême droite à la seconde chambre de Berlin ; M. le comte Voss ; M. le comte de Groeben, chargé, il y a trois mois, de la difficile mission de commander les Prussiens dans la Hesse électorale, gentilhomme aussi conciliant que hardi, qui sut contenir une armée frémissante et empêcher une lutte d’où serait sortie la guerre européenne. Lorsque ces réunions prirent naissance, vers 1825, le prince royal avait trente ans, et M. de Radowitz vingt-huit ; rapprochés par l’âge, comme ils l’étaient par la conformité des pensées, ils ne tardèrent pas à former au milieu de ce grave cénacle une société plus intime. M. de Radowitz avait tout ce qui était nécessaire pour s’emparer d’un esprit enthousiaste et volontiers mystique ; ce que le prince aimait en lui, c’était la gravité de cette intelligence qui n’excluait pas des rêves pleins de séductions, de neuves et mystérieuses théories sur la réforme des empires ; c’était ce mélange de précision scientifique et d’exaltation religieuse, une sorte de composé bizarre du moine et du soldat. Bien que leur religion ne fût pas la même, ils ne se sentaient jamais séparés par les différences de dogmes ; le romantisme allemand, surtout le romantisme des hommes d’état, est comme une religion qui unit protestans et catholiques, en d’éblouissans domaines où toutes les dissidences s’évanouissent. La foi de M. de Radowitz, c’est surtout la croyance au droit divin des monarchies ; il ne doute pas qu’une investiture spéciale n’ait été expressément donnée à telle ou à telle famille par celui qui gouverne les mondes, et de ce sacre suprême résulte à ses yeux un droit qui ne saurait être aliéné ni amoindri. Le prince royal s’associait ardemment aux rêves de M. de Radowitz ; le talent a toujours exercé sur lui d’irrésistibles séductions. Quel devait être l’ascendant de cette philosophie qui, par un habile mélange d’aristocratie, de libéralisme et de religieuse ferveur, répondait si bien, aux secrets désirs de sa pensée !

S’il faut en croire une opinion assez répandue, cette amitié du prince