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le régime de 1793, qui chassa nos officiers, laissa nos arsenaux au dépourvu et livra nos vaisseaux mal armés, mal exerces, aux coups de l’ennemi.

Napoléon releva notre marine : il eût 64 vaisseaux de haut bord et 83,000 matelots à la fois ; il poursuivit avec ardeur les travaux de Cherbourg, et continua l’œuvre de Louis XIV dans tous nos arsenaux : la flotte devait être entre ses mains un instrument auxiliaire de destruction contre l’Angleterre ; ce qu’il en attendait, c’est qu’elle lui ménageât quelque jours de mer libre pour jeter sur la Grande-Bretagne les armées qui avaient vaincu l’Europe. On sait le reste : cette flotte s’éteignit dans nos ports pendant les premières années de la restauration.

La monarchie de 1830 voulut aussi avoir une marine redoutable : on se souvient de l’enthousiasme avec lequel les chambres, sur la proposition de M. l’amiral de Mackau, votèrent, il y a quelques années, la loi des 93 millions qui assurait à la France 40 vaisseaux de ligne et 100 bâtimens à vapeur, avec un approvisionnement de prévoyance lui doublait presque cette force. Nôtre établissement naval se constituait rapidement sur cette base, quand éclata la révolution de février.

Nous venons de résumer l’expérience des siècles dans les affaires de notre marine ; cette expérience parle assez haut. Depuis février 1848, nous éprouvons un abaissement continu[1] ; on ne peut évaluer à moins de 1 vaisseau de ligne par an l’amoindrissement de nos ressources. La loi des 93 millions, semble suspendue ; nos officiers restent inactifs dans nos arsenaux, nos matelots sans emploi dans nos ports : les mauvais jours du cardinal Dubois leur reviennent en mémoire. Nous-même, c’est pour échapper à de funestes pressentimens que nous voudrions livrer à tous les regards l’inventaire de l’établissement naval légué par la monarchie à la république. À nos eux, le premier besoin de notre marine est de sortir de l’espèce d’isolement où elle s’est tenue jusqu’ici à l’égard de la nation. Malheur à nous si l’esprit de la France se retirait un instant de sa flotte !

Comment donc ont avorté tant de nobles mations, à ce point qu’il est des jours où l’on se demande si la France, peut être une puissance militaire et une puissance maritime tout ensemble ? Triste problème posé depuis deux siècles dans l’histoire de notre marine ! La faute en est aux revotions qui préoccupent la nation de bien autres soins que du soin de sa flotte, la faute en est aux gouvernemens qui n’ont pas su faire entrer dans la pensée du pays cet élément de la grandeur nationale. La marine en France semble encore un mystère. Il faut dissiper

  1. Le dernier message du président fait connaître que le chiffre des bâtimens armés, qui était, de 235 en 1848, est réduit à 125, et le nombre des matelots embarqués, de 29,331 à 22,561. Il est à regretter que le message n’ait pas mis en regard les valeurs comparées de nos approvisionnemens en 1848 et en 1851.