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l’arsenal et c’est une faute irréparable de sa fondation, situé trop avant dans l’intérieur des terres, manque de la profondeur d’eau nécessaire aux vaisseaux dont l’armement ne peut se compléter qu’au bas de la rivière. Il serait ruineux d’élever là un nouvel établissement ; l’économie veut qu’on envoie les vaisseaux à Brest. Pour la construction et les approvisionnemens, Rochefort, adossé à la riche Saintonge, offre une tout autre valeur. On y compte onze cales de constructions et trois bassins de carénage, dont le premier peut recevoir une frégate à vapeur rien ne serait plus facile que d’y ménager de nouvelles fosses d’immersion pour les bois ; mais ce qui relève surtout les destinées de Rochefort, c’est la vapeur. La France peut créer là un arsenal de premier rang ; tout s’y prête, et l’espace dont on dispose, et les ressources qui abondent. Les difficultés de l’abord disparaissent devant les ressources de la marine nouvelle. Déjà la politique de 1840 y a jeté 2,258,000 francs ; elle a fait surgir un établissement à vapeur qui peut passer pour un modèle : grandes forges, marteaux, moutons, martinets, chaudronnerie de montage, ateliers de tournage, en un mot tout ce qui constitue l’arsenal de la marine nouvelle s’y trouve fondé et réuni dans les conditions les plus favorables. Quelques jours suffiraient pour élever des parcs à charbon, et l’on aurait un ensemble irréprochable. Rochefort est dès ce moment en mesure de fournir à la flotte, 1,000 chevaux de vapeur ou deux frégates de 500 chevaux chaque année ; un simple ordre du ministre de la marine doublerait sa puissance.

La rade de Rochefort n’est abritée qu’en partie par l’île d’Aix. En face, sur le banc du Boyard, autrefois recouvert par la mer, on construit une forteresse dont les feux croiseront sur la passe des feux des batteries de l’île ; le doigt de Napoléon avait marqué cette position. Au-delà, Rochefort n’est protégé que par son éloignement de la mer ; est-ce assez ? Ne faudra-t-il pas ajouter un défilé de batteries flottantes ? car la vapeur donne aujourd’hui à l’attaque de redoutables armes ; il suffira d’oser. Laissera-t-on Rochefort, son arsenal, un matériel naval de plus de 50 millions de francs exposé à périr, par une nuit d’orage, dans une surprise hardie ou dans les flammes de quelques brûlots audacieusement lancés ?

Tel est le groupe d’arsenaux qui protége le littoral oriental de la France, et dont Brest est la tête. Sur la Manche, c’est un autre groupe commandé par Cherbourg, qui couvre nos côtes. Cherbourg est, en face de l’Angleterre, ce que Brest est dans l’Atlantique, le poste avancé de la France, sa tête de colonne pour la guerre maritime. On chercherait en vain un plus bel exemple de ce que peut le génie de l’homme aux prises avec la nature. Sur toute la côte qui fait front à l’Angleterre et à la mer du Nord, la France cherchait en vain un mouillage pour sa