Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/448

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de force intérieure, de caractère moral. Dans cette absence absolu d’éducation, il s’est développé tant bien que mal, il a peu grandi physiquement, et moralement il n’a subi que tyrannie, compression de la part, de sa vieille et folle mère, habituée à le considérer comme la proie du démon, à l’humilier et à lui faire honte de défauts qu’il n’a jamais connus. Cette absurde éducation influera, sur toute la vie d’Alton Locke ; il en gardera toujours l’empreinte ineffaçable, faiblesse de caractère ; mollesse de pensée, absence de ressort moral. Tel qu’il se présente dans ce livre, Alton Locke a toujours besoin d’un guide, d’un mentor ; dans l’âge viril comme dans la jeunesse, il lui faudra toujours un précepteur : pauvre arbrisseau planté sur un sol stérile et maigre, courbé par le vent et la pluie, empêché dans sa croissance par l’inclémence de l’air, il aura toujours besoin d’être appuyé pour n’être pas brisé par le cou de vent le plus doux, par la main débile d’un enfant. Alton est incapable d’action, incapable de chercher et de trouver par lui-même ; il accepte de toute main toutes les opinions, toutes les idées ; il reçoit honnêtement toutes les impressions et n’en contrôle aucune ; chacun des aphorismes qu’il rencontre dans la vie vient l’aider, pour ainsi dire, à exhausser son intelligence : il est comme un édifice où chaque passant vient ajouter sa pierre, comme un sol passif formé par alluvions, par tous les flots contraires, de la grande mer de la vie ; il croit à tout, au chartisme, au calvinisme, au docteur Strauss, aux journaux et aux meetings populaires : tout lui est bon, rien ne lui est contraire. Voilà le caractère d’Alton tel qu’il ressort de ses prétendus mémoires pour qu’il ne tombe pas, il lui faut un guide ; la providence le lui amène : ce guide, c’est le vieil Écossais Sandy Mackaye.

Nous allions oublier de dire qu’Alton Locke est poète : tout enfant il composait pour sa petite sœur des cantiques en l’honneur de l’enfant Jésus, qui faisaient secouer la tête aux prêcheurs anabaptistes, hôtes assidus de la maison de sa mère, et les faisaient se demander si le second baptême serait lui-même capable de régénérer cette ame doublement damnée et prédisposée évidemment aux œuvres de Satan. Avec l’âge, cette rage de poésie ne fait que s’accroître ; mais quels moyens le pauvre Alton a-t-il à sa disposition pour apaiser la soif qui le brûle ? Il n’a pas de livres, et il est trop pauvre pour s’en procurer ; la Bible, le Nouveau. Testament et le Pilgrim’s Progress, cette Imitation de Jésus-Christ des calvinistes anglais, sont les seuls livres qui composent la bibliothèque de sa mère, livres suffisans à coup sûr pour nourrir son intelligence, si on lui eût appris à les comprendre et à savoir les lire ; mais on ne lui en a enseigné que la lettre, et il connaît pas l’esprit. Alors Alton a recours pour s’instruire à un étrange moyen : tous les jours, en se rendant à l’atelier de M. Smith, il s’ar-