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au violent amour qu’elle a inspiré à Alton. Éléonore Staunton, la fiancée de lord Lynedale, cherche à prémunir Alton contre les dangers dans lesquels peut l’entraîner cette passion ; elle fait entendre à Lillian de sévères reproches au sujet des coquetteries qu’elle emploie avec Alton et qu’elle croit sans danger ; d’un autre côté, elle ne néglige rien pour faire comprendre au jeune poète les malheurs auxquels il s’expose. Les efforts d’Eléonore Staunton ne sont pas couronnés de succès, car Alton, dans sa présomption, croit voir dans toutes ses paroles percer la jalousie. Éléonore Staunton est une femme d’une intelligence supérieure, imbue de sentimens démocratiques et de la philosophie la plus avancée, qu’elle réconcilie sans trop de peine avec sa foi protestante. Elle protége secrètement Alton auprès du bon doyen Wignstay qui s’intéresse à lui, qui parle à l’apprenti de carrières libérales à embrasser, lui promet de l’y pousser, et se charge de trouver des souscripteurs pour ses Chants du grand chemin, à la condition qu’il y fera quelques légères coupures et atténuera la violence de quelques vers. L’impression long-temps désirée arrive enfin ; Alton dit adieu à ses bons amis de Cambridge et revient auprès de Mackaye.

À son retour à Londres, il trouve une lettre qui lui annonce la mort de sa mère ; il pleure amèrement en se rappelant ses anciens torts, mais bientôt sa douleur se calme quand il voit son nom cité dans tous les journaux populaires et ses poésies comblées de louanges banales qui ne laissent pas de lui plaire tout autant que si elles étaient originales et sincères. Le jeune ouvrier, qui a perdu ; depuis le soir où il se fit décidément chartiste, ses anciens moyens de subsistance écrit pour vivre dans un journal chartiste dirigé par un Irlandais, M. O’Flyn, qui, sans être précisément un scélérat, n’est pas un personnage des plus honorables, espèce de condottiere toujours à la recherche d’une affaire à diriger plutôt que d’une cause à servir, bohémien qui a passé par toutes sortes d’états, et de sauts périlleux en sauts périlleux en est arrivé à fonder le Cri de guerre hebdomadaire ; c’est le nom du journal. Cet ami du peuple, dictateur tyrannique, ayant eu vent qu’Alton avait vécu quelque temps à Cambridge et vu d’assez près l’université, lui ordonne d’écrire des articles qu’Alton ne fait qu’à son corps défendant et qu’il retrouve défigurés et accrus de violences qui n’étaient pas dans la pensée du protégé du docteur Winnstay. De là une scène curieuse dans laquelle Alton, furieux, menace O’Flyn de dévoiler ses infames menées et l’accuse de vouloir corrompre le peuple en lui recommandant la lecture des romans de M. Eugène Sue. Une rupture s’ensuit ; mais Alton trouve à travailler dans d’innocens magazines : il vit tranquille et heureux de pouvoir se suffire à lui-même sans mener le métier d’esclave auquel O’Flyn le soumettait, lorsque tout à coup voilà une attaque partie des colonnes du Cri de guerre qui plonge le pauvre