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des sentimens pacifiques, et obtenait-il par exemple, la vie et la liberté des prisonniers dominicains, le gouvernement de Jimenez nous en témoignait sa reconnaissance en attribuant aux intrigues françaises la capture de ces prisonniers, sous prétexte que, par un stratagème dont nous n’étions nullement responsables, l’embuscade où ils étaient tombés avait répondu la nuit à leur qui vive : Consul de France. M. Place reçut la dépêche qui renfermait cette étrange accusation juste au moment où il ramenait de Port-au-Prince les prisonniers dont il s’agit. Ayant aussitôt demandé une audience collective aux membres du gouvernement, il leur signifia qu’il allait déchirer cette dépêche sous leurs yeux, s’ils ne la désavouaient à l’instant même. M. Place ne se contenta même de cette réparation qu’à la prière des principaux amis de Santana, qui imitaient la générosité de celui-ci.

Par une contradiction plus apparente que réelle, ce besoin fiévreux de pouvoir qui l’avait fait l’ame de toutes les intrigues et peut-être de tous les complots dirigés contre Santana[1], cet excès de confiance qui lui faisait repousser les conseils et les services, s’alliaient chez Jimenez à un sentiment profond de son insuffisance, sentiment qu’il ne dissimulait même pas. Devant l’invasion de Soulouque, il ne sut donc ni s’effacer, ni agir, abandonnant au hasard seul une solution qui allait servir ou son ambition ou son envie, prêt à profiter du succès pour s’affermir, mais résigné d’avance à une défaite qui ensevelirait son pouvoir sous les ruines de la nationalité, et qui ne pouvait dès-lors le renverser, lui Jimenez, qu’en écartant à jamais Santana.

Privée de direction, livrée à des influences suspectes, l’armée dominicaine débuta par une faute énorme. Au lieu d’attirer Soulouque le plus loin possible de ses ressources et de le laisser s’engager dans les défilés qui protégent, sur une étendue d’au moins cinquante lieues, les abords de Santo-Domingo, elle alla attendre les Haïtiens à Las Matas, presqu’à la frontière et sur un territoire entièrement découvert. Tournée par une colonne partie du Cap, tandis que Soulouque l’attaquait en tête, elle lâcha pied après un combat de deux heures (18 mars 1849, et se replia sur Azua, où se tenaient Jimenez et la réserve. Le 6 avril. Azua tombait au pouvoir de Soulouque. Jimenez et ses principaux généraux avait eux-mêmes donné le signal de la débandade. L’armée dominicaine avait abandonné toute son artillerie, ses munitions, ses vivres et jusqu’à ses blessés. Une dernière, ressource restait : c’était de défendre un à un les défilés où allait s’engager Soulouque ; mais il y avait des trahisons dans l’air, et les soldats, que personne d’ailleurs ne ralliait, se dispersèrent au hasard dans les bois.

Une panique affreuse, augmentée d’heure en heure par les lamentations

  1. Santana a aujourd’hui la conviction intime que Jimenez était du complot de Puello.