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certes, le pouvoir dans ses mains. Il n’eut cependant rien de plus pressé que de s’en démettre, n’acceptant que le rang de généralissime ; et fit porter à la présidence son ami Baez, que le désistement de Santana suffisait d’ailleurs à désigner au choix de l’opinion.

Don Buenaventura Baezy un des plus riches propriétaires du pays, est né à Azua, petite ville où végéta durant quelques années un modeste greffier d’ayuntamiento appelé Fernand Cortès. Baez est un homme d’environ trente-huit ans, petit et mince, excellent cavalier, très instruit ; grand connaisseur des hommes, actif comme la poudre, discret comme la tombe, brave comme une épée, et exerçant à certain degré autour de lui ce magnétisme de dévouement qui rayonne autour du héros seybano. Il a cinq frères, dont deux élevés en France, cinq gaillards passablement débraillés d’allures et de toilette, et qui sont la terreur de tout ennemi du nom des Baez. Dans la dernière crise, lorsque don Buenaventura les voyait rôder, sournoisement autour de lui, il savait, sans avoir besoin de s’en enquérir, qu’un péril personnel le menaçait ; mais il savait aussi qu’il n’avait pas à s’en occuper. Le père de Baez avait pris une part active à l’insurrection de 1808, et tels sont les regrets laissés dans le pays par la domination française, que ce souvenir jeta comme une ombre de défaveur sur les débuts politiques du futur président dominicain. Nul n’a montré cependant pour la France des sympathies plus ardentes et plus soutenues. C’est lui que nous avons vu prendre, en 1844, l’initiative des ouvertures faites à MM. Barrot et Levasseur, lui qu’on retrouve jusqu’au bout dans ce singulier combat d’une petite nation qui se donne et d’une grande nation qui l’aime et ne veut pas l’accepter. Baez a un profond attachement pour Santana, qui n’a de son côté, qu’une préoccupation : faire valoir Baez. Entre ces deux hommes investis de pouvoirs rivaux, c’est à qui, épiera les secrets désirs de l’autre pour lui sacrifier les siens, et aucun d’eux n’a pu encore y parvenir. Le hasard nous a permis de surprendre, dans des lettres particulières adressées à des tiers, la confidence de cette mutuelle abnégation qui elle-même ne se soupçonne pas. Dans ces lettres, Baez rapporte tout à Santana, et si un involontaire orgueil perce chez Santana au souvenir du passé, c’est l’orgueil d’avoir contribué à la nomination de Baez… « Vous savez écrivait-il dernièrement à un ami, vous savez que je fis tous mes efforts pour son élection, et je suis si satisfait du résultat, que chaque jour je me félicite davantage de l’avènement de ce garçon-là (de este joven.) ». La solidarité et l’entente mutuelle des pouvoirs servent souvent de prétexte, dans notre vieille Europe, à des phrases bien autrement éloquentes ; mais je n’en sais pas qui égale en cordialité naïve le souvenir que l’énergique Seybano donne en passant à ce « garçon-là. »

Sous l’influence combinée de ces deux hommes, la petite république,