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connaître ce qu’ il a senti, ce qu’il a pensé devant le Parnasse du Vatican, devant le Premier Péché de la chapelle Sixtine, et de suivre pas à pas son admiration et ses scrupules.

Quand je parle de scrupules, le lecteur familiarisé avec l’histoire de la peinture me comprend sans peine. Il est évident en effet que, pour un homme épris de la réalité, qui poursuit l’imitation de la nature sinon comme le but suprême, du moins comme le but prochain de son art, Michel-Ange et Raphaël sont, tout à la fois un sujet d’admiration et une source de scrupules. Ni l’École d’Athènes ni le Jugement dernier n’appartiennent à la peinture réelle. Le Triomphe de Bacchus, peint à fresque dans la galerie du palais Farnèse par Annibal Carrache, n’est pas : plus réel que l’École d’Athènes et le Jugement dernier. Les Heures de Guido Reni au palais Rospigliosi l’Aurore du Guerchin à la villa Ludovisi, ne sont pas non plus une imitation littérale de la nature. La tribune de Saint-André della Valle, chef-d’œuvre du Dominiquin, se rapproche davantage du but que poursuivait Géricault. Le Martyre de saint André, placé dans l’église de Saint-Grégoire en regard d’une composition de Guido Reni sur le même sujet, est peut-être encore plus voisin de l’imitation littérale. Cependant aucun de ces maîtres, si variés, si ingénieux, si féconds, ne pouvait contenter Géricault ; car il ne trouvait ni dans l’école romaine, ni dans l’école, florentine, ni dans l’école de Bologne la réalité vivante et complète, la réalité pure, qu’il appelait de tous ses voeux. Pour demeurer fidèle à la cause de la vérité, je suis obligé d’avouer que l’auteur de la Méduse a choisi pour modèle un peintre qui, dans l’histoire de l’art, est placé bien loin de Michel-Ange et de Raphaël, bien loin d’Annibal Carrache et du Dominiquin : c’est à la Lombardie qu’il a demandé conseil, et il n’a choisi pour guide ni le fondateur de l’école milanaise, ni son élève le plus illustre, ni Léonard de Vinci, ni Bernardino Luini ; Géricault, qui avait devant lui Michel-Ange et Raphaël, a détourné les yeux, comme ébloui de cette splendeur toute puissante : le parrain qu’il s’est donné, vanté, fêté il y a deux siècles comme un peintre accompli, aujourd’hui réduit à sa juste valeur, s’appelle Michel-Agnolo Amerighi, et, comme il était né dans une petite ville de Lombardie, à Caravaggio, il est connu généralement sous le nom de Michel-Ange de Caravage. Quoique ce peintre, mort depuis deux cent quarante-un ans ; soit aujourd’hui singulièrement déchu de son ancienne renommée, on ne peut nier cependant qu’il ne possède une singulière habileté : il y a dans sa manière de distribuer la lumière, de donner du relief à toutes ses figures, une puissance qui peut se comparer à la puissance de Rembrandt Si le peintre hollandais possède un génie plus fécond, une imagination plus abondante, le peintre lombard lutte avec lui de ruse et de finesse, lorsqu’il s’agit de montrer la forme dans l’ombre, et, selon la belle expression