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I.
Comment Nola fut rencontrée par Primel sur le chemin du bourg.


À peine, en ces vallons, des ombrages épais
J’ai senti sur mon front la fraîcheur et la paix,
Qu’un murmure charmant passant de feuille en feuille
Sort du pays voisin : poète, je l’accueille.

Sur le bord d’un talus qui fermait un grand pré,
Pâle, s’en vint s’asseoir la veuve de Corré[1].
De loin elle entendit le son de la grand’messe ;
Mais, ne pouvant, hélas ! surmonter sa faiblesse,
La grand’messe fini, on revenait du bourg,
Qu’au bord de ce talus, le cœur froid, le front lourd,
Elle cherchait encor, la jeune et belle femme ;
Si parmi ces chrétiens serait une bonne ame,
Un passant dont le bras la mît dans son chemin ;
Mais, pitié ! nulle main ne lui serra la main,
Et, plus faible toujours, et toujours délaissée,
Pâle, elle gisait là comme une trépassée.

Oh ! c’est que la beauté, faible contre le mal,
La beauté, même aux champs, est un présent fatal
Quelle femme, en voyant Nola[2] n’était jalouse ?
Quel homme ne rêva de l’avoir pour épouse ?

Or, le jeune Primel, par ses amis fêté,
Plus tard que de coutume au bourg était resté
Avec ses grands cheveux que partage une raie,
Sous les plis réguliers de son immense braie,
Seul il s’en revenait par les prés verdissans,
Heureux de la saison et de ses jeunes ans ;
Car des murs de la ville à la libre campagne,
Cet âge d’or, toujours un rêve l’accompagne.
Par-dessus les buissons il regarde : « Est-ce vous,
Blanche veuve ? » Et déjà, comme un nouvel époux,
Il disait : « Sur mon bras appuyez ce bras faible.
Je suis l’arbuste fort, vous, la tremblante hièble.
Jusqu’à votre logis il vous faut un soutien.
Venez. Les médisans sur vous ne peuvent rien. »

  1. Ou, selon les cartes, Coray
    (Pays-Haut). C’est, dans notre Cornouaille, une paroisse vers la racine des
    Montagnes-Noires.
  2. Abréviation de Guennola, Toute-Blanche.