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moins savant lui-même, un helléniste moins profond que M. Dacier, elle eût pu l’étonner beaucoup le premier jour de leurs noces.

La comédie politique finit à Athènes avec Aristophane ; cette petite république ne put elle-même supporter une telle licence. La censure théâtrale fut établie après la guerre du Péloponèse, environ quatre siècles avant notre ère. On voit que le remède est presque aussi ancien que le mal.

Je regrette que, suivant le conseil du Vieux Cordelier, nos faiseurs de pièces politiques n’aient pas essayé, après la révolution de février, de nous donner simplement la traduction d’une comédie d’Aristophane. On aurait facilement rattaché à quelque intrigue dramatique les scènes sans lien et sans unité du poète grec. Puisque nous devions voir transportées sur la scène française la licence et la satire cruelle de la comédie grecque, au moins aurions-nous voulu retrouver le véritable Aristophane. À défaut de cette œuvre, qui aurait eu le double intérêt de l’art et de la politique, j’ai réuni ici quelques scènes éparses dans le théâtre d’Aristophane, qui s’appliquent plus particulièrement à ce qu’on appelle de nos jours les doctrines socialistes. C’est le seul lien qui rattache ces fragmens, et leur donne quelque droit à paraître ensemble. Au reste, les comédies d’Aristophane, même dans leur intégrité, n’ont rien de la marche et de l’action qu’exige le théâtre moderne ; sous ce rapport, au moins, la mutilation sera excusée par les gens du métier ; pour les autres, ces fragmens, même à l’état de centons, pourront leur donner une idée de la manière d’Aristophane.


SCÈNES SOCIALISTES.[1]
PERSONNAGES
POPULUS
LYSISTRATA
CLEON, candidat
UN MARCHAND DE SAUCISSES
autre candidat
DEMOSTHENE, serviteur de Populus.

Le démagogue Cléon, en flattant Populus, s’est emparé de l’esprit de ce vieillard bonhomme et crédule. Cléon aspire à une des magistratures de la république. Démosthène, qui cherche à éclairer Populus sur le compte de Cléon, oppose à cet ambitieux un candidat dont la naissance et le métier doivent plaire à la multitude, personnifiée ici par Populus, un candidat « fils d’ouvrier, ouvrier lui-même, » comme disaient les circulaires aux élections de 1848.

DÉMOSTHÈNE.

Où trouver un candidat ? où le chercher ? Mais voici notre affaire, j’imagine :

  1. Ces scènes sont extraites, pour la plus grande partie, de la comédie des Chevaliers et de l’Assemblée des Femmes. La première a fourni l’exposition, la seconde le dénoûement, ou, pour mieux dire, le commencement et la fin. J’ai pris dans les autres pièces ce qui s’appliquait le plus aux doctrines socialistes, — renouvelées des Grecs, c’est bien le cas de le dire. — Enfin, j’ai supprimé tout ce que nos mœurs rejettent, en regrettant souvent de mutiler par ces sacrifices nécessaires la verve audacieuse et l’indignation patriotique du poète. — Les chevaliers formaient à Athènes le second ordre de l’état. Solon avait distribué les citoyens en quatre classes : la première comprenait ceux qui avaient 500 mines de revenu ; la seconde, ceux qui en avaient 300, et qui pouvaient entretenir un cheval, d’où le nom de chevaliers. C’était donc la classe qui correspondait dans l’ordre politique au tiers-état, à la bourgeoisie moderne, cette aristocratie de 1789, aussi haïe et menacée déjà que l’ancienne. Il y avait à Athènes mille chevaliers sur une population d’environ vingt-cinq mille citoyens. J’ai donné pour femme à Demos ou Populus, la personnification du peuple, cette Lysistrata dont le nom est attaché à une autre pièce.