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POPULUS.

Tu vas donc faire une constitution ? Cela n’est pas bien neuf.

LYSISTRATA.

Attends donc, et juge après m’avoir entendue. D’abord, tous les biens seront en commun, et chacun aura sa part pour vivre. Il n’y aura plus ni riche ni pauvre. Il ne faut pas que l’un possède de vastes domaines et que l’autre n’ait pas de quoi se faire enterrer, que l’un traîne avec lui une foule d’esclaves et que l’autre n’ait pas un seul serviteur. Je mettrai en commun les terres, l’argent, toutes les propriétés ; on vivra tous ensemble, et on dînera à la même table.

POPULUS.

Et celui qui ne possède pas de terres, mais de l’or, de l’argent, des écus ?

LYSISTRATA.

Il apportera ces richesses à la masse, car elles ne seraient bonnes à rien. La pauvreté ne contraindra plus personne à travailler. Tout appartiendra à tous, maisons, pain, salaisons, tuniques, vin, pois et haricots. Quel profit y aurait-il à ne pas déposer sa part dans la communauté ? Nous aurons de grands magasins.

POPULUS.

Mais pour les femmes, comment fera-t-on ? Si quelqu’un voit une jolie fille qui lui plaise plus ?…

LYSISTRATA.

Ah ! il n’y a pas de privilège contre nous ; toutes les femmes seront communes, oui, mais tout sera aussi commun pour elles[1].

(Grande dispute entre le chœur des vieilles femmes et celui des jeunes filles sur les moyens (rétablir une véritable communauté. Les vieilles entendent bien qu’on ne leur fasse pas tort, et que l’égalité ne soit pas un vain nom. Les filles préféreraient un régime de liberté, et les citoyens sont assez de cet avis ; mais le principe est absolu : les vieilles proposent des mesures plus folles les unes que les autres pour assurer à leur profit l’exécution fidèle de la loi. On comprend assez quelles grossièretés sortent d’un tel sujet. Il faut rejeter absolument toutes ces scènes malgré le sel et la verve comique de plusieurs passages.)

POPULUS.

Mais, en vivant ainsi, comment chacun pourra-t-il reconnaître ses enfans ?

LYSISTRATA.

À quoi bon ? les enfans regarderont comme leurs pères tous ceux qui seront plus âgés qu’eux. On sera sûr ainsi de ne pas se tromper.

POPULUS

Mais qui cultivera la terre ?

  1. Je trouve dans un projet de constitution présenté à la convention nationale un code du mariage et des successions qui ressemble fort à celui de Lysistrata. « Le mariage est un contrat tacite de la nature entre deux individus de sexe différent pour la propagation de l’espèce humaine. Il est rompu par la volonté de l’un ou l’autre des deux individus. Les enfans provenus de mariage sont les créanciers de la nature et de la république… La justice ne connaît pas de testament, parce qu’un homme ne peut avoir de volonté après sa mort ; elle ne connaît pas non plus d’héritiers collatéraux, parce que tous les citoyens sont frères en république. » (Révolutions de Paris, no 192.)