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II

Avant de reprendre la vie nomade, nous avions eu le temps de parcourir Erzeroum et de recueillir quelques notions précises sur l’état actuel de la nombreuse population qui habite cette curieuse cité. Erzeroum, dont quelques étymologistes font dériver le nom de Arx Romanorum, a été fondée en 415 par Théodose II, et s’est appelée Theodosiopolis. Elle est la capitale du pays qu’on désignait autrefois sous le nom de la Haute-Arménie ; elle est aussi le chef-lieu du pachalik d’Erzeroum, qui se divise en plusieurs districts commandés par des pachas soumis à celui qui y fait sa résidence. Cette contrée, qui fut le berceau du christianisme arménien, est célèbre par le martyre de saint Grégoire, qui vint y prêcher l’Évangile.

Erzeroum tomba au pouvoir des Ottomans dans l’année 1517 ; les Russes s’en emparèrent en 1829, mais la rendirent à la Porte l’année suivante. Leur passage coûta cher à cette ville, car ils emmenèrent avec eux un grand nombre de familles arméniennes pour les établir au-delà de l’Araxe devenu leur frontière. Ils ne firent d’ailleurs aucune différence entre les orthodoxes et les schismatiques, et ils opérèrent sur une si vaste échelle, que, pour ne parler que des catholiques, sur quatre cent cinquante familles de ces derniers, il ne s’en trouve plus actuellement à Erzeroum que trente-six. La population de cette ville est aujourd’hui peu industrieuse. L’émigration forcée de 1829, la nature du pays, le génie même de la nation arménienne, concourent à expliquer l’état actuel de cette cité. Essentiellement pasteurs et agriculteurs, les Arméniens, dans ce pays du moins, ont conservé leurs goûts, entretenus d’ailleurs par la fécondité des plateaux élevés et la richesse des vallées qu’ils habitent. Aussi la plaine d’Erzeroum, qui est très vaste, est-elle un des points les mieux cultivés et les plus riches de l’empire ottoman où généralement tout languit, tout meurt, la nature comme les générations. À part les marchés nécessaires aux cultivateurs des nombreux villages qui avoisinent Erzeroum, le commerce de cette ville est tout de transit ; dans ses vastes khans, où se succèdent les caravanes, les ballots qu’elles y apportent restent intacts. Venus de la Perse ou de l’Inde, ils s’acheminent vers Constantinople. S’ils arrivent de cette ville ou du Franguistân, ils continuent leur route pour aller dans les bazars éloignés de Tabriz ou d’Ispahan.

Erzeroum présente peu de monumens remarquables. On y trouve quelques vestiges d’édifices empreints d’une grandeur et d’une élégance dont les constructions modernes ne portent plus de traces. Un de ces édifices mérite une attention particulière, à cause des souvenirs qui s’y rattachent et de l’abandon même auquel les préjugés mahométans l’ont voué. Il faut en chercher le motif dans l’origine que lui