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faite à celle-ci par la conquête. Cette division a survécu, et aujourd’hui encore elle sert à distinguer le pays situé entre l’Euphrate et l’Araxe de celui qui s’étend à l’ouest du premier de ces fleuves. Entre la mer Noire et la mer Caspienne s’étend une région extrêmement élevée, où se croisent dans tous les sens les racines par lesquelles sont attachés au globe le Caucase au nord et le Taurus au sud. Ces deux immenses chaînes, dont les ramifications se relient entre elles, forment comme un vaste réseau de montagnes et de vallées. Un hiver prolongé, un froid rigoureux, rendent les premières âpres et arides ; la fonte des neiges et de nombreuses rivières qui ont leur source sur les sommets des monts donnent aux vallées une courte, mais riche fertilité. Au centre de ce pays se dresse, sur sa large base déjà bien au-dessus du niveau des mers, le pic Ararat. Sur cette pointe de glace éternelle, que les rayons ardens du soleil brûlent sans la fondre, s’arrêta l’arche sainte. Ce n’est pas un des moindres titres à l’intérêt historique que présente l’Arménie, d’avoir été ainsi le berceau du genre humain.

Cette terre primitive, à laquelle se rattachent des traditions qui se perdent dans la nuit des temps, s’appela d’abord Aram, nom qui lui vient sans doute du fils de Sem. Les Arméniens lettrés lui donnent celui de Haïk-Hasdâu ou Haïasdàn, qui dérive de Haïk, fugitif, selon eux, de la Babylonie vingt-deux siècles avant Jésus-Christ. Quant à son nom vulgaire, il paraît venir d’un des plus anciens rois arméniens, appelé Armenig ou Armen. C’est sous cette dernière dénomination que les Orientaux désignent les Arméniens.

Il règne sur les premiers âges de la nation arménienne une obscurité telle que l’on chercherait inutilement à la percer : on la croit liée à la vie des peuples de la Babylonie, sans savoir au juste comment. Les souverains de cet empire paraissent avoir été en guerre avec elle, et de fait il est très présumable que, voisine de l’Assyrie et de la Médie, ayant les mêmes intérêts, cette nation n’a pas dû rester étrangère aux révolutions qui ont agité, transformé ou fait déchoir le pays de Sémiramis. Tributaire de Ninive, on distingue confusément l’Arménie dans la grande conspiration d’Arbace et de Belesis, qui alluma le bûcher de Sardanapale.

Dans ce chaos de faits, dans ce labyrinthe où les traditions s’entre-mêlent d’une façon inextricable, aucun fil, aucune lumière ne conduit l’investigateur. Les premières lueurs qui se font et qu’aperçoit l’historien ne dépassent pas le vie siècle avant Jésus-Christ-. Le règne de Tigrane Ier est le jalon qui sert de point de départ pour se guider avec quelque certitude dans le dédale historique des fastes de la nation arménienne ; mais dès cette époque commence pour elle une série de vicissitudes pendant lesquelles les revers plus fréquens que les victoires, l’asservissement plus long que l’indépendance, l’amenèrent à l’état d’abaissement où elle semble tombée pour toujours.