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Transylvanie, qui sont très nombreux, et fondèrent ainsi une nouvelle maison qui existe encore à Vienne.

Le véritable centre arménien, le foyer des connaissances de l’Europe mises à la portée de l’Orient, c’est toujours le couvent des mékitaristes des lagunes de Venise. Voués à l’éducation des jeunes disciples que leur envoient les divers tronçons de la nation répandue en Asie, les mékitaristes les instruisent, en font de bons prêtres, des vartabeds instruits, et par leur moyen, en les renvoyant aux points d’où ils sont partis, ils étendent une action bienfaisante sur tous les lieux où sont rassemblées des familles arméniennes catholiques. La sphère dans laquelle ces moines essaient d’agir est si étendue, que de leur imprimerie orientale ils font sortir, pour les verser sur toute l’Asie, des livres écrits non-seulement en arménien, en turc ou en arabe, mais encore en persan, en syriaque, en hébreu et même en chinois. Malheureusement ces livres, dont le fonds est puisé à d’excellentes sources, sont peu lus et font peu d’adeptes parmi les enfans dispersés de la nation arménienne, pour lesquels ils sont surtout écrits. C’est là un fait d’autant plus étrange que les Arméniens ont un esprit très accessible à l’influence de la civilisation européenne. Les orthodoxes, qui forment parmi eux le parti national, ont pour l’Europe une vive sympathie qu’ils savent concilier avec le culte de l’ancienne Arménie, dont ils parlent la langue et conservent religieusement les traditions. Ils connaissent même leur histoire, fort ignorée des schismatiques, dont les vartabeds s’occupent très peu de cultiver l’esprit, qu’ils emprisonnent dans un cercle rétréci de connaissances purement théologiques. Aussi les catholiques se considèrent-ils comme l’aristocratie de la nation arménienne, et, adoptant la devise : Noblesse oblige, ils ont une louable émulation qui les pousse de plus en plus vers les progrès et les lumières.

Dans le milieu grossier et stupidement fanatique où les Arméniens se trouvent en plus grand nombre, c’est-à-dire confondus dans la population turque, ils ne peuvent guère sortir de l’état d’ignorance et de barbarie primitive où nous les avons trouvés ; mais à Constantinople, dans la ville franque de Péra, où ils sont continuellement en commerce, en contact avec les Européens, ils se montrent tels qu’ils sont naturellement : aimant les sciences et les arts de l’Europe. Cette disposition et cette aptitude à recevoir comme à conserver les empreintes de la civilisation les font rechercher même par les Turcs, qui leur confient des emplois, éloignés qu’ils en sont par leur insouciante apathie. Ainsi, à la monnaie, à l’arsenal, dans les fonderies de Constantinople, dans la plupart des établissemens impériaux, ce sont des Arméniens qui travaillent ou dirigent. On pourrait dire que la nation arménienne est la cheville ouvrière de la grande machine turque, un