Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la maison engraissent et dont ils font leurs commensaux. Cette salle n’est pas un lieu de séjour habituel ; la famille habite l’étage supérieur, et quelquefois, pendant les nuits très chaudes, elle transporte ses pénates en des espèces de niches construites sur le toit en terrasse de la maison. Les salles basses servent souvent de magasins. M. Richardson raconte qu’ayant été visiter un habitant, la femme de ce dernier s’enfuit et se renferma dans une chambre ; mais une autre fois le docteur Richardson entra dans la même maison, en l’absence du mari de la dame : celle-ci, loin de montrer le même effroi, vint à sa rencontre et, qui plus est, réunit ses voisines pour leur faire voir le chrétien. « C’est de leur mari et non des étrangers, dit M. Richardson, que les femmes ont peur en Afrique. Du reste, les femmes des habitans pauvres ne songent pas à éviter les regards des étrangers ; mais il est d’usage que les femmes riches se dérobent à la vue. Celles qui sont jolies et bien faites, ajoute le voyageur anglais, trouvent pourtant toujours le moyen de se faire voir. »

Ghadamès était la première étape du missionnaire après son départ de Tripoli. De cette ville, M. Richardson voulait se rendre à Ghat, pour gagner ensuite le Soudan, s’il le pouvait. La distance entre Ghadamès et Ghat est de vingt jours de marche dans le désert. Parti le 24 novembre, le missionnaire arriva à Ghat le 15 décembre. Ce n’était pas sans appréhension qu’il entrait dans cette ville, habitée par les redoutables Touaricks. Les Touaricks, dont les nombreuses et puissantes tribus peuplent toute la partie méridionale du Sahara, sont considérés comme une barrière vivante entre l’Europe et les riches contrées de l’intérieur de l’Afrique. Il est facile d’arriver jusqu’à eux par le désert ; il est très difficile de pénétrer au sein de leurs peuplades et de les traverser pour entrer dans le Soudan. C’est le dragon qu’il faut vaincre pour pénétrer dans le jardin des Hespérides. Dévots musulmans, ils sont surtout hostiles aux chrétiens, avides d’ailleurs comme une nation pauvre, affamée, qui n’a ni agriculture ni industrie. Les bagages d’un voyageur offrent à ces hordes sans frein une tentation irrésistible, et plusieurs explorateurs ont déjà payé de leur vie l’imprudence avec laquelle ils ont exposé aux regards de ces peuples pillards les produits de l’industrie européenne.

La nation des Touaricks se divise en plusieurs branches ennemies les unes des autres, qui diffèrent par les mœurs et la forme des gouvernemens. Les Touaricks de Ghat passent pour être plus sociables que ceux de l’ouest. Les premiers sont placés sur la route de Tripoli au Soudan, route anglaise déjà visitée bien des fois, et qui bientôt deviendra comparativement facile à parcourir ; les seconds barrent le chemin de l’Algérie au Sénégal. Nul n’a parcouru cette route, quoique plusieurs Français y soient entrés avec courage.

Les Touaricks de Ghat forment une république aristocratique. Ils naissent tous nobles et ne connaissent d’autre profession que celle des armes. Dans les districts ruraux où ils sont répandus, chacun d’eux plante sa tente ou bâtit sa hutte au milieu d’une vaste solitude, et il y vit patriarcalement avec sa famille et ses esclaves, exerçant une autorité en quelque sorte sans contrôle ; il ne reconnaît de pouvoir supérieur que dans les occasions où les intérêts de la nation tout entière sont engagés. La haute stature, la force herculéenne du Touarick, sont sa meilleure protection dans la demeure inviolable qu’il s’est choisie.