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et sans soubresauts. La royauté anglaise est restée jusqu’à présent (et puisse-t-elle durer toujours ainsi pour attester la vertu des grandes œuvres politiques !), elle est restée comme un monument national. Les observances de son entourage, ses galas, ses réceptions, son costume, son étiquette, aucun de ces prestiges si aisément et si cruellement démonétisés ailleurs, n’a pu tourner contre elle, parce qu’elle n’a jamais été exclusive. De tous les rangs et par tous les chemins, il a été permis de s’élever jusqu’à elle, de l’approcher et de recueillir quelque reflet de son éclat. Aussi tous les amours-propres, tous les orgueils qui donnent du nerf à un peuple, se sont-ils complus en elle, et c’est ainsi qu’elle est devenue l’idéal le plus cher du patriotisme le plus altier qu’il y ait en Europe ; c’est ainsi que l’antiquité même de ses usages est demeurée populaire, parce que cette antiquité, se prêtant si libéralement au commerce de toutes les choses nouvelles, ne sert plus qu’à leur conférer un surcroît d’illustration.

L’ouverture de l’exposition universelle était certainement un spécimen extraordinaire de cette curieuse alliance des formes antiques et des pensers nouveaux qui se produit à chaque pas en Angleterre. C’était à la fête de l’industrie que cette cour de pairs et de pairesses venait docilement s’associer. Des maîtres de cérémonie par trop maladroits avaient imaginé de faire de cette grande scène un spectacle privilégié ; l’industrie a énergiquement réclamé son droit de présence, elle a donné très clairement à comprendre que c’était elle qui invitait la reine, et qu’elle voulait la reine pour elle. La reine s’est rendue à ces exigences avec une bonne grace à la fois politique et charmante. Hier encore, elle venait à l’improviste visiter l’exposition, et marquait ainsi son empressement comme tout le monde.

Le jour de la grande solennité, quels étaient ceux qui marchaient derrière les hérauts, qui tenaient la tête de l’imposante procession ? C’étaient les entrepreneurs qui avaient bâti l’édifice ; c’était l’ingénieux architecte qui en avait fourni le plan, M. Joseph Paxton, le jardinier du duc de Devonshire. Ils avaient tous ainsi leur place d’honneur dans l’aristocratique compagnie, et ils n’en étaient que plus fiers du mérite de leur labeur plébéien. C’était encore un épisode bien significatif que cette première rencontre du duc de Wellington et de M. Cobden arrivant en pareille occasion et en pareil lieu, mettant face à face pour se tendre la main, non pour se combattre, le plus solide champion du principe de résistance et le plus ardent avocat du principe de réforme. Tous les deux étaient pourtant à leur place dans le palais de cristal. Qu’est-ce après tout que ce palais, sinon le temple où l’Angleterre instituait avec une consécration splendide le dogme du libre échange et de la libre concurrence prêché par Richard Cobden avant d’être érigé par Robert Peel en loi politique et sociale ? Et si c’était la victoire de Cobden qui trouvait là sa récompense, comment la récompense eût-elle été complète sans l’assistance du vieux duc ? Ce sage et vaillant esprit qui a toujours su vouloir à temps les réformes nécessaires est le témoin naturel de toutes les circonstances considérables en Angleterre, le patron obligé des plus belles fêtes britanniques. À cause de sa gloire, à cause de ses quatre-vingt-trois ans, peut-être aussi à cause de cet amour tout ensemble tenace et raisonnable qui l’attache au vieil établissement anglais, le duc de Wellington semble chargé par la faveur populaire de relier l’ancien monde avec le nouveau, en apparaissant dans celui-ci aux grandes occasions.