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point fixe auquel nous rallier et nous prendre : ce n’est pas à supporter long-temps que de sentir toujours le sol trembler, s’affaisser, que de sentir le vide partout, le vide autour de soi, au-dessous de soi. Le vertige saisirait les ames les mieux trempées, si elles devaient flotter encore ainsi beaucoup sur l’abîme. Cette incertitude de toutes choses hébété à la longue et démoralise le pays. Ceux qui se mêlent de le conduire, ceux qui l’enseignent et le prêchent, semblent, en vérité, succomber chacun à son tour aux atteintes du mal : on dirait un tournoiement universel où, personne ne restant en place, ne sait plus où retrouver personne. Cet homme d’esprit sans gêne et d’heureux loisir s’était improvisé publiciste par grace pour le pauvre monde qui ne demandait qu’à jurer sur sa parole, et qui l’attendait comme la manne. Il protégeait les princes, il conseillait la France ; il était une des colonnes de l’ordre, un des vaillans du bataillon sacré ; il devait monter à l’assaut de toutes les barricades en traînant après lui, pour plus de sûreté, quiconque il soupçonnerait de n’être pas aussi brave, et le voilà qui pactise avec l’ennemi, qui propose de faire la part du feu, et quelle part ! de sacrifier sans autre forme de procès la loi du 31 mai, parce qu’elle pourrait bien exaspérer la faction qui n’en veut pas ! Figurez-vous le désappointement de ceux qui s’en étaient fiés aux débuts de l’oracle, et qui, de tout leur cœur, lui auraient continué leur foi ! Ils ne connaissent pas le secret de certaines brouilles, ils ne savent pas pourquoi Jupiter tonne de son tonnerre aigre-doux ; ils savent seulement que l’un des champions de l’ordre passe avec armes et bagages dans le camp des ennemis de la loi du 31 mai. Comment le suivre, mais comment le quitter ? quel embarras pour de bonnes gens ! Le nouveau ministère paraît heureusement moins préoccupé de cet abandon, et, au milieu de ces étourdissantes variations qui désolent le public, il est consolant de voir que cette loi du 31 mai, la pierre de touche à laquelle on distingue la bonne cause de la mauvaise, reste le fondement inébranlable de la politique du cabinet. On doit savoir gré à M. Faucher de s’être déclaré aussi énergiquement en faveur de cette loi tutélaire, et nous sommes heureux de pouvoir constater ainsi la parfaite unité d’intentions qui anime le gouvernement tout entier au sujet d’un point si essentiel.

Encore un mot sur l’état présent des esprits dans l’atmosphère qu’ils respirent. Si ce n’était que la presse qui vacillât ainsi au gré des circonstances, on apprendrait à ne s’en pas troubler. Comment après tout, par exemple, se tourmenter beaucoup de ce que tel journaliste, qui se vantait si fort d’avoir exterminé la candidature présidentielle du général Cavaignac vienne maintenant lui en offrir une autre ? Le personnage est ainsi fait, c’est tout ce qu’on en peut dire, et l’opinion aurait vraiment le droit de ne pas plus s’émouvoir des conversions de cette nature que l’honorable général ne s’émeut sans doute de pareilles avances. Malheureusement, cette mode des conversions soudaines gagne des régions plus hautes. Les hommes les plus éminens ont l’air de douter d’eux-mêmes et de tout leur passé ; le pêle-mêle où nous vivons les emporte. Les consciences tourbillonnent au hasard, comme si c’était une danse des morts. Il y en a qui portaient le rationalisme incarné dans la moelle de leurs os ; croyez-les, ils sont devenus mystiques, ou plutôt ne les croyez pas : ils essaient sur vous de ce mysticisme qui n’a jamais rien pu sur eux ; — experimentum faciamus ! Et le malaise universel augmente encore à voir qu’on vous propose tant de recettes