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de la soldatesque, après avoir failli échouer contre son indifférence. Tout cela ne comporte donc en soi rien de plus profond ; mais, pour n’avoir que de si médiocres origines, l’anarchie n’en est pas moins désastreuse. Il n’y a qu’à la suivre, comme nous voulons le faire, dans ses principales phases pour se représenter le degré d’impuissance que suppose chez un peuple cette funeste habitude des insurrections militaires.

Ajoutons encore que ces insurrections sont fatalement aidées par la position respective de Lisbonne et d’Oporto. Il a pu paraître extraordinaire qu’à la seule nouvelle du succès imprévu de Saldanha dans Oporto, on n’ait plus pensé qu’à transiger au palais de Las Necessidades. C’est qu’une fois Oporto rangé dans un autre camp que Lisbonne, il n’y a presque pas moyen de réduire cette ville rivale. Les approches des deux cités, soit par terre, soit par eau, sont également malaisées. Oporto est couvert par le Douro et par la barre de ce fleuve aussi bien du côté de la mer que du côté de la terre ferme, comme Lisbonne est couverte par Torres-Vedras et par Santarem. Pour entrer de force dans Oporto comme dans Lisbonne, il faut une flotte anglaise ou une flotte française. M. Costa-Cabral n’était pas en position de solliciter en 1851 l’appui que l’Angleterre avait donné en 1846. Le ministre anglais, sir Hamilton Seymour, n’a pas été plus tôt informé de la réception du duc de Saldanha dans Oporto, qu’il a employé toute son autorité pour obtenir le départ du comte de Thomar. La presse anglaise, qui avait attendu pour rendre quelque justice au ministre portugais que son adversaire fût ou semblât anéanti, s’est retrouvée unanime pour l’accabler aussitôt que la rébellion a eu définitivement réussi. La bonne volonté du ministre de France ne pouvait aller loin ; la république n’a déjà que trop d’affaires en train. Deux vaisseaux de guerre français sont cependant arrivés dans le Tage ; trois vaisseaux anglais, le Phaëton, l’Aréthuse et l’Infatigable, croisent à l’embouchure du Douro.

C’est presque un roman que cette dernière campagne de Saldanha, quoiqu’elle vienne aboutir d’une façon très positive à la formation d’un ministère. Le duc était le 20 avril à Castro d’Aire, avec les troupes qu’il avait soulevées, lorsqu’il reçut avis de ses affidés d’Oporto que la majeure partie de la garnison se déclarerait pour lui aussitôt qu’il se montrerait. Il se mit en route à une heure du matin, accompagné seulement de deux aides-de-camp ; il avait dû laisser en otages à ses propres troupes son fils et le reste de son état-major ; les soldats révoltés ne s’étaient pas rassurés à moins en le voyant partir. À neuf heures, il touchait aux bords du Douro, qui était alors enflé par les pluies, et là, s’abandonnant à la rapidité du courant, il fut en peu d’heures tout près d’Oporto ; mais il rencontra d’autres nouvelles dans le voisinage de la ville. Ses amis lui mandaient que l’on ne pouvait plus compter sur personne, et qu’il eût à s’occuper avant tout de sa sûreté. Ce fut une véritable consternation. Le duc avait fait quatorze lieues dans la matinée à travers des chemins affreux, malgré tous les accidens et tous les risques. Le fleuve était trop gros pour qu’on pût le remonter ; on ne savait comment rejoindre les troupes, et les abandonner, c’était perdre toute la partie. Saldanha la tint pour perdue, et gagna seul la frontière de la Galice ; ses deux aides-de-camp se cachèrent dans lui faubourg d’Oporto. L’armée insurgée n’avait plus qu’à devenir ce qu’elle pourrait ; un coup de hasard en fit une armée victorieuse.