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Manteuffel, accompagneront leurs souverains. On essaiera encore de régler là des difficulté plus sérieuses que ne le veulent les uns, moins inconciliables peut-être que ne le voudraient les autres. Nous n’avons jamais supposé que l’Autriche et la Prusse jouassent la comédie en feignant de se disputer l’Allemagne pour amuser la galerie jusqu’à l’heure où l’on devrait agir tout de bon. Il y a trop de griefs positifs entre les deux puissances pour que cette dispute s’évanouisse au premier commandement. Nous ne nous fions pas davantage outre mesure à la durée de ces querelles. Il n’y a qu’à jeter un regard vers nos frontières pour apercevoir comme un cercle hostile qui se forme et se resserre de plus en plus autour de nous. L’Europe nous entourera bientôt d’une sorte de cordon sanitaire pour se garer des éventualités de 1852. Ce sera notre propre sagesse ou notre propre folie qui nous livrera ou nous préservera. Notre sort, non pas seulement vis-à-vis de nous-mêmes, notre sort vis-à-vis de l’Europe est tout entier dans nos mains.

ALEXANDRE THOMAS.


PEUPLE ET ROI AU XIIIe SIÈCLE, étude historique, par L.-D. Moland[1]. – Au milieu des luttes qui ont agité de notre temps la société française, l’histoire est devenue souvent le champ-clos des partis, et c’est peut-être à cette circonstance qu’elle doit la popularité dont elle a joui dans ces dernières années ; malheureusement les écoles opposées, qui combattent chacune pour sa foi politique, en sont venues souvent, en transportant dans le passé les passions du moment, à nier les vérités les plus évidentes, et, quand on veut se former une opinion indépendante et sûre, il importe avant tout de remonter aux documens eux-mêmes et de faire parler les morts. C’est à cette méthode d’évocation qu’a recouru l’auteur de Peuple et Roi, et c’est là ce qui donne à son livre un intérêt sérieux. Déterminer d’une manière générale quel a été dans le moyen-âge le rôle de la royauté française, et d’une manière plus particulière quels étaient au XIIIe siècle les rapports des rois de France et du peuple, tel est le but que s’est proposé M. Moland. Il a curieusement étudié, au point de vue spécial de son sujet, les années comprises entre 1226 et 1243, c’est-à-dire la première régence de la reine Blanche de Castille, et l’une des périodes les plus remarquables des luttes de la royauté contre le système féodal. Son livre est divisé en trois parties : la première et la troisième sont avant tout expositives et dogmatiques ; la seconde est plus particulièrement narrative, et nous regrettons que l’auteur, dans cette seconde partie, tout en s’inspirant des documens contemporains, tout en conservant même dans les détails une grande exactitude, ait cru devoir adopter une forme qui se rapproche de celle du roman historique, On a tant abusé du pittoresque et de la couleur locale, qu’il y a danger aujourd’hui à les transporter dans les travaux sérieux. Cette réserve faite, Peuple et Roi, qui est le premier ouvrage de l’auteur, est à plus d’un titre un livre distingué, et un début aussi sérieux dans cette carrière de l’érudition où se pressent tant de médiocrités vaniteuses mérite à tous égards d’être encouragé. M. Moland, pour éclairer sa thèse, a compulsé une grande quantité de textes peu connus : les poètes, les dramaturges, qui expriment si nettement au moyen-âge le sentiment populaire dans sa sincérité naïve, lui

  1. 1 vol. in-8o, Paris, Dentu, 1851.