Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/793

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’usage des sources directes et des pamphlets originaux, n’ayant à ma disposition que les œuvres des grands maîtres, qui sont sur les rayons de toutes les bibliothèques, il m’a suffi, chose étonnante, de rapprocher les passages que me fournissaient si abondamment ces écrivains d’élite, pour me former sur les marionnettes anglaises un ensemble de documens plus circonstanciés et plus complets, j’ose le dire, que ceux qu’ont rassemblés jusqu’à ce jour les critiques nationaux les mieux informés. C’est là, on l’avouera, un des résultats les plus notables de la différence si profonde et si tranchée qui sépare les littératures dites romantiques des littératures plus sobres et plus circonspectes qu’on appelle classiques. Certes, un critique anglais ou allemand aurait beau étudier attentivement nos grands écrivains dramatiques, Corneille, Rotrou, Racine, Molière, Regnard, Marivaux même et Beaumarchais, il ne pourrait, j’en suis convaincu, recueillir de ces lectures, même à l’aide de l’induction la plus subtile, une suite d’observations assez substantielles et assez précises pour reconstituer, avec de tels matériaux, la moindre partie de notre histoire civile ou littéraire. Ce n’est point un reproche que j’adresse à nos grands écrivains, ni une critique que je fais de leur système, à Dieu ne plaise ! ce n’est qu’un simple fait que je note au passage et qui me paraît tout-à-fait propre à marquer nettement la diversité de ces deux poésies, dont l’une s’élance et se maintient dans une sphère de généralisation idéale et impersonnelle, tandis que l’autre, particulièrement attentive aux singularités caractéristiques, plonge ses racines au plus profond et au plus vif de la réalité individuelle.

Cela dit, débarquons sans retard sur les bords de la Tamise, et parcourons en cockney les rues, les ponts et les squares de Londres.


I. – STATUAIRE MECANIQUE DANS LES EGLISES? — DANS LES MIRACLES-PLAYS ET KES OAGEABTS.

En Angleterre, comme partout ailleurs, la sculpture mobile a commencé par prêter son prestige aux cérémonies du culte. Le crucifix à ressorts de l’abbaye de Boxley n’a point été un fait isolé de superstition monastique[1]. Jusqu’au moment de l’établissement du schisme de Henri VIII, le clergé catholique célébrait, dans toutes les églises de la Grande-Bretagne, les solennités de Noël, de Pâques, de l’Ascension, avec un appareil presque scénique (in manner of a show and interlude). On employait, dans ces occasions, de petites poupées mobiles (certain small puppettes). L’historien duquel j’emprunte ces détails raconte qu’il assista, vers 1520, à l’office de la Pentecôte dans la cathédrale de Saint-Paul, où il vit la descente du Saint-Esprit, figurée par un pigeon

  1. J’ai signalé ce crucifix célèbre dans le n° du 1er août 1850.