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école, nous le montre fort contrarié de cette invasion du pédantisme dans les puppet-shows : « On met aujourd’hui, remarque-t-il, beaucoup trop de science dans cette affaire, et j’ai grand’peur que cela n’amène la ruine de notre métier[1]. » Dekker, qui nous a fait connaître, en s’en moquant, les emprunts faits par les puppet-players au répertoire tragique et comique, n’était pas non plus tout-à-fait désintéressé dans la question. Cet écrivain, aussi besoigneux et plus spirituel que notre Colletet, est soupçonné d’avoir écrit plus d’une drollery et d’un prologue anonymes, à la demande des motion-men de Smithfield et de Fleet-Bridge, et il ne pouvait par conséquent voir sans déplaisir ses patrons prendre l’habitude de se pourvoir d’une besogne toute faite dans les drames applaudis au Globe ou au Phoenix[2].

Ben Jonson, pour achever de jeter le ridicule sur les puppet-players, qui se lançaient dans les voies tragiques, nous fait assister, dans le cinquième acte de the Bartholomew Fair, à une de ces représentations burlesquement classiques. Voici l’affiche du chef-d’œuvre, telle que la lit un amateur avant d’entrer dans la petite salle de Lanterne : « Ancienne-moderne histoire de Héro et Léandre, ou la pierre de touche de l’amour, avec un vrai combat d’amitié entre Damon et Pythias, deux fidèles amis de Bankside[3]. » On voit que, pour complaire aux amateurs avides de l’antiquité grecque, Lanterne Tête-de-cuir a pensé ne pouvoir mieux faire que d’accoupler et d’amalgamer deux de ces sujets héroïques, pensant que ce qui abonde ne vicie pas. Le dialogue tient et au-delà tout ce que l’affiche promet de coq-à-l’âne et de confusions baroques. Chose singulière ! nous avons vu à Paris, pendant tout le XVIIIe siècle, les marionnettes des foires Saint-Germain et Saint-Laurent parodier nos meilleures tragédies, y compris Alzire et Mérope, tandis qu’à Londres, en 1614, un des plus illustres dramatistes, un homme qui recevra bientôt le titre de poète lauréat, parodiait, sur un théâtre de premier ordre, les puppet-plays de la foire ! Étrange interversion entre les rôles, et tout à l’avantage des marionnettes !

Il ne faut pas croire qu’il n’y eût alors à Londres et en Angleterre que des motion-men ambulans et forains. Outre les joueurs de marionnettes en plein air, qui dressaient leurs petites scènes à Stourbridge fair[4] et à Smithfield, il y avait des puppet-showmen en possession de salles

  1. The Bartholomew Fair, acte V, sc. I.
  2. Voyez une épigramme de John Davies contre un certain Dacus, réduit à écrire pour les marionnettes, et que M. Gifford croit être Dekker. — Works of Ben Jonson, t. IV, p. 363 et note.
  3. Bankside est un quartier de Londres sur la rive méridionale de la Tamise où se trouvaient alors beaucoup de cabarets et plusieurs salles de spectacle.
  4. Lingua, acte III, sc. VII ; a select Collection of old plays, t. V, p. 164.