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Ce John Spendall était le vieux Jean Mange-tout, acteur des moralités, passé au théâtre des marionnettes avec the old Vice et sa bande.

On peut lire dans le seizième numéro du Tatler, daté du 17 mai 1709, le récit d’une représentation de marionnettes donnée à Bath dont le sujet était encore la Création du monde, également suivie du Déluge. « Quand on fut arrivé à la seconde partie, dit l’auteur, on introduisit Punch et sa femme, qui dansèrent dans l’arche. » L’avis de l’auditoire fut que ce spectacle était fort instructif pour les jeunes gens. À la fin de la pièce, Punch salua respectueusement jusqu’à terre et fit un compliment très civil à la compagnie. Dans un autre puppet-show, toujours sur le déluge, lorsque la pluie commençait à tomber par torrens, Punch avançait la tête hors du rideau d’une coulisse, et disait à demi-voix au patriarche : « Il fait un peu de brouillard, maître Noé[1]. »

Addison, devenu, sous la reine Anne, un écrivain à la mode et l’associé de sir Richard Steele dans la rédaction du Taller et du Spectator, se plut, de moitié avec son ingénieux collaborateur, à élever une réputation colossale à un habile puppet-showman qui commençait à se produire. Les deux amis tirèrent des petits danseurs et chanteurs mécaniques de M. Powell et des pièces que ce spirituel petit bossu arrangeait lui-même[2] une agréable occasion de critiques malignes et de piquantes comparaisons. Grace à cette fantaisie de deux écrivains d’esprit, au goût peu élevé du public et à son talent réel, M. Powell acquit et conserva, sous la reine Anne, George Ier et les commencemens de George II, une célébrité fort étendue et presque sérieuse. Il parait avoir d’abord essayé son savoir-faire dans diverses grandes villes du royaume ; il se rendait particulièrement à Bath dans la saison des bains. En 1709, Steele publia dans plusieurs numéros du Tatler une amusante correspondance entre le fantastique esculape Isaac Bickerstaff, qui est presque toujours supposé tenir la plume dans le Tatler[3], et notre déjà célèbre et très réel puppet-showman, M. Powell. L’infortuné docteur se plaint amèrement de la malignité des prologues et des épilogues satiriques de, M. Powell, et surtout des brocards qu’un certain M. Punch ne cesse de lancer contre sa science et sa personne[4]. M. Powell, dans la réponse ironiquement apologétique que le Tatler lui prête, affirme n’avoir rien négligé pour se perfectionner dans son art : il a voyagé en

  1. Punch and Judy, p. 29.
  2. Une note de la traduction du Tatler nous apprend cette particularité. Voy. le Babillard, t. I, p. 240.
  3. Isaac Bickerstaff est une heureuse création de Swift ; Steele recueillit dans le Tatler cet excellent type. Le doyen de Saint-Patrice ne fut pas, à ce qu’il parait, fort reconnaissant de cette adoption.
  4. The Tatler, nos 44 et 45.