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payés à la fin du mois de mars 1849, bien avant l’époque où Bou-Zian commença ses prédications. Jamais d’ailleurs la situation de cette contrée n’avait été plus florissante. Ce qui détermina l’insurrection, c’est précisément cet état de prospérité, qui attirait aux Zabi[1] les railleries jalouses des Arabes nomades. Ceux-ci froissés par un système démocratique trop absolu, ne négligeaient aucune occasion pour leur reprocher le calme avec lequel ils subissaient notre domination. De là une sourde irritation, qui choisit la question d’impôt comme la seule arme dont elle pût disposer contre nous. Quand les prédications de Bou-Zian, vinrent agiter les tribus sahariennes, elles trouvèrent un terrain bien préparé. Cette tranquillité même dont elles jouissaient sous notre domination était pour elles une injure qui appelait une réparation, et cette réparation, elles la cherchèrent dans la révolte.

Pour comprendre combien cette révolte était peu justifiée par la conduite de l’administration française, il faut se reporter vers l’époque antérieure à notre domination. Alors les gens des oasis étaient captifs au milieu de leurs palmiers. Le nomade, l’Arabe par excellence, battait la plaine et les routes, dépouillant le voyageur, souvent aussi l’habitant du village, pour lui revendre ensuite dans sa maison même ce qu’il lui avait pris. Dans les oasis mêmes, l’homme des villages était encore trop exposé aux brigandages de l’Arabe ; il était obligé de se réfugier au centre, derrière un inextricable dédale de petits canaux d’irrigation et de murs de clôture. Tous les ans, une faible colonne turque et les goums à sa suite venaient lever l’impôt. Les pauvres habitans des oasis ne pouvaient payer ; les Arabes payaient alors pour eux, mais ils se faisaient donner des jardins en gage, et s’arrangeaient pour en devenir propriétaires : c’est là l’origine des nombreuses propriétés des nomades dans les oasis. L’on ne voyait pas alors, comme aujourd’hui, un zabi portant le haïk du Djérid, le burnous des Beni-Abbès ; il était habillé de coton grossier, marchait pieds nus, et n’aurait jamais osé couvrir sa tête de la brima (corde ronde en poil de chameau), ornement ordinaire du chef ou du cavalier.

Sous notre protection, le zabi put prendre le costume de l’Arabe, qui vit cette transformation avec une surprise mêlée de colère. Le zabi devint insolent comme tous les gens habitués à une longue oppression, auxquels on laisse lever la tête ; le zabi trouvait toutes les routes libres ; il allait à Alger, à Constantine, et narguait en passant l’homme de la tente, qui regardait en frémissant son fusil, et songeait aux beaux temps d’autrefois ; enfin, transformation monstrueuse aux yeux du nomade le zabi se donnait le luxe de deux femmes. C’était là

  1. Terme de mépris dans la bouche des Arabes pour désigner les gens des Ziban.