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poète, ne sommes séparés de sa splendeur par aucun corps intermédiaire, nous n’apercevons plus qu’une lueur confuse ; devine qui pourra cette énigme singulière. Jusqu’à présent, nous avions cru que, pour apercevoir l’ombre projetée sur un corps céleste par un corps de même nature qui venait à passer devant lui, il fallait de toute nécessité être placé sur un troisième corps différent et distant des deux premiers. Il paraît que cette opinion, généralement accréditée, ne repose sur aucun fondement ; c’est du moins l’avis de M. de Lamartine. À quoi bon parler à tout propos du soleil et des étoiles ? à quoi bon entasser bévue sur bévue ? Il est trop facile de relever des erreurs si manifestes pour que la clairvoyance devienne un sujet d’orgueil ; je serais heureux de n’a voir pas à les relever.

Ces reproches, que je ne sépare pas d’une admiration sincère, ne sont pas les seuls que mérite l’Hymne au Christ. Bien que la pensée générale de la composition soit une pensée chrétienne, le poète déploie un tel luxe de souvenirs, il parle avec tant de complaisance de Palmyre et de Memphis, d’Osiris et de Mercure, du Panthéon et des dieux de la Grèce et de Rome, que l’idée première disparaît plus d’une fois dans ce déluge d’appels au passé, et, quand elle reparaît, elle se trouve amoindrie. Entre le point de départ et le point où nous sommes parvenus, il y a un tel espace, que nous avons presque oublié les destinées de la foi chrétienne pour ne songer qu’à la splendeur éphémère des empires, aux erreurs baptisées du nom de vérité qui se détrônent tour à tour avant de s’abîmer dans le néant. Ainsi l’inspiration du poète, chrétienne au début, s’altère à son insu, et prend un caractère cosmopolite et purement philosophique. Sans la péroraison, qui semble empruntée aux procédés de l’art musical et qui nous ramène air ton primitif, les modulations infinies par lesquelles nous avons passé effaceraient de notre mémoire le thème religieux que M. de Lamartine a voulu développer.

Ce que j’ai dit de l’Hymne au Christ s’appliquerait encore avec plus de justesse et d’évidence à l’une des plus belles pièces du recueil : Mon ame est triste jusqu’à la mort. Assurément il est impossible de méconnaître la grandeur, la sincérité de l’inspiration qui a dicté cette plainte éloquente. Non-seulement l’idée première est parfaitement vraie, non-seulement la tristesse qui s’exhale dans cette élégie suprême n’a rien de factice, rien d’apprêté, mais les divisions imaginées par le poète semblent destinées à nous montrer clairement toutes les faces de sa pensée, toutes ses angoisses, toutes ses défaillances. Et pourtant, malgré la grandeur de l’inspiration, malgré la vérité des sentimens, la lecture la plus attentive de cette pièce, si admirablement conçue, ne laisse dans la mémoire qu’une trace confuse ; en nous recueillant, nous arrivons à grand’ peine à recomposer dans un ordre intelligible, dans une série logique les tableaux qui ont passé sous nos yeux. La substance poétique de