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l’état de nature, regarde la défense comme la première loi : d’où la nécessité de ne pas retenir le droit pour soi, de le quitter en partie pour le transporter à autrui. Du droit ainsi transporté naît le pouvoir social, constitué pour la défense et omnipotent sous cette seule condition : le salut public. Rousseau pense aussi qu’à considérer humainement les choses, les lois de la justice sont vaines parmi les hommes, et, à l’exemple de Hobbes, il en conclut que la volonté du souverain fait la loi. Toute la différence réside dans le nom et la qualité du souverain, qui s’appelle ici le peuple et le nombre. Enfin une école a été fondée par Bentham, qui, donnant au droit une autre origine, a prétendu le faire sortir de l’utilité, ralliant au même titre et les lois naturelles issues de rapports indéterminés et les lois créées d’autorité par la fantaisie du pouvoir. M. Blondeau appartient à l’école de Bentham. Pour lui comme pour le maître, l’intérêt général est la source véritable et la mesure commune des bonnes lois, et les droits et les obligations sont des enfans de la loi subordonnés comme elle à la règle fondamentale d’utilité publique.

Que faut-il penser des opinions si diverses qui se sont fait jour depuis le XVIIIe siècle sur l’origine des lois ? Renfermant chacune une portion de vérité, elles pèchent également par défaut de largeur. Trop philosophique peut-être, la doctrine de Montesquieu semble pencher vers une idée de droit général, immuable, éternel ; que des esprits imprudens s’en emparent, et voilà les droits de l’homme proclamés, non-sens abstrait dont la verve ironique de Joseph de Maistre a fait si rude justice. Les opinions de Hobbes et de Rousseau ne peuvent soutenir l’examen ; la souveraineté, indépendante de la justice et s’élevant contre les lois de la nature, ne saurait se concevoir. Roi ou peuple, l’homme ne puise point sa souveraineté en lui-même, mais dans l’accord de sa volonté avec l’équitable, le possible et le nécessaire. Quant à l’intérêt considéré comme règle unique de la loi, rien de plus triste et de moins décisif. Avec cette doctrine, plus d’obligation morale et partant plus de conscience, plus de sanction suprême. Le droit devient une arme, et le devoir n’a désormais pour le représenter que la force. De tout ceci que conclure ? C’est que le droit a des sources différentes, la raison et le cœur de l’homme, les nécessités variables du temps, des circonstances, des lieux, la nature et le génie des peuples ; c’est qu’enfin le pouvoir contribue lui-même à créer, à maintenir le droit par la forme de la loi qui la rend claire à chacun, par la promulgation qui la fait connaître de tous, et par la sanction pénale qui ne permet pas qu’on la viole impunément.


P. Rollet.

V. de Mars.