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effilées, imprimaient un mouvement continu à cette roue qui répandait à travers les rizières une eau vivifiante. Incessamment humectée par ces arrosemens et fécondée par l’ardeur du soleil, la terre faisait germer les moissons que le laboureur lui avait confiées ; mais, hors des espaces cultivés, le jungle reparaissait bientôt, montrant dans toute sa force cette végétation sauvage et luxuriante dont un sol généreux se revêt et s’enveloppe comme de sa parure naturelle. Il y avait donc là, entre les rizières et la route, un bois de palmiers de la plus belle venue, hérissés du haut en bas de feuilles larges comme des parasols, les unes séchées par le vent d’été et découpées en lanières, les autres vertes encore, et jetant sur la tête du passant une ombre abondante. Le cipaye et sa femme se reposaient sous ces palmiers. À quelques centaines de pas derrière eux, cinq ou six cabanes étaient dressées, pauvres huttes, formées de nattes en lambeaux, autour desquelles gambadaient et se roulaient dans la poussière des bambins malpropres qui n’avaient pour tout vêtement que la couleur sombre de leur peau. Des chiens maigres au pelage gris moucheté de noir rôdaient aux abords de ce camp. Dans les huttes, si basses qu’il eût été difficile de s’y tenir debout, des hommes et des femmes presque nus, accroupis sur les talons, s’occupaient à tresser des paniers. On voyait, suspendus au soleil à l’entrée des cabanes, des restes d’animaux fraîchement dépouillés, que l’œil le moins exercé eût reconnus pour des carcasses de chats, de chiens et de rats musqués. À peine les deux voyageurs avaient-ils pris place sous les palmiers, qu’une vieille mégère, se glissant parmi les buissons, s’approcha d’eux, et s’inclina devant Padmavati : — Vous êtes une heureuse mère, lui dit-elle ; les dieux vous ont donné un bel enfant. Faites-moi l’aumône d’un paiça, et que la route vous soit douce !

— Viens, dit tout bas le cipaye à sa femme, marchons !

— Il a bien deux ans, votre petit ? reprit la vieille d’une voix doucereuse.

— Il n’a pas encore dix-huit mois, répondit la mère avec orgueil, n’est-ce pas qu’il a profité pour son âge ?

— Marchons, interrompit le cipaye avec impatience en poussant sa femme devant lui. Tu ne vois donc pas que cette femme est de la tribu des Kouravars ? Ce sont des vagabonds qui n’appartiennent à aucune caste, des gens sans aveu, sans asile, qui vivent de rapine et se nourrissent de viandes immondes. Fi des Kouravars ! leur contact souille même les parias.

— Elle ne m’a pas touchée, reprit vivement Padmavati, ni le petit non plus.

— C’est égal ; qui sait si elle n’a pas cherché à jeter un sort sur notre enfin ? dit le cipaye avec inquiétude. Ces gens-là ont tant de manières de faire le mal !

En parlant ainsi, ils avançaient toujours, suivis de loin par la vieille