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et qui coupe toute la largeur de l’édifice. Cette pièce est d’une ornementation extrêmement remarquable : les murs, les fenêtres, les portes et le plafond en sont tout dorés et couverts de peintures parfaitement exécutées. Les peintures des portes notamment sont d’une touche exquise : sur les panneaux qui divisent chaque ventail sont peints de petits tableaux qui représentent des femmes, des danseuses dans des costumes charmans, ou des bouquets de fleurs artistement disposées reproduits avec une élégance de pinceau surprenante.

Ce que cette salle royale offre de plus beau et de très réellement remarquable, ce sont six grands tableaux qui ont cinq mètres de long sur trois ou quatre de haut, retraçant des faits de l’histoire de Perse. Châh-Abbas, fondateur de cette magnifique résidence, s’était plu à y rappeler des épisodes de la vie de ses glorieux ancêtres. Il ne s’y était pas oublié : à côté de Châh-Ismaël combattant les Turcs, de Châh-Thamas recevant l’empereur indien Houmaïoûn, auquel il accorda une hospitalité toute royale, on voit Châh-Abbas taillant en pièces l’armée des Tartares-Yuzbeks. Les autres tableaux représentent des fêtes royales. Cette salle était celle du trône. On y arrivait par un salon avec lequel la salle du trône était mise en communication au moyen de deux belles portes. Ce salon est lui-même splendidement orné d’innombrables glaces de Venise et de peintures de toute sorte. L’or, le stuc, l’azur et l’albâtre se mêlent et s’allient pour charmer l’œil, depuis la base jusqu’au plafond. Un grand bassin d’eau sans cesse renouvelée est au milieu. Une des faces de ce vestibule royal, exposée au nord, est entièrement ouverte sur un portique formé de dix-huit colonnes dorées et tournées en spirale, qui supportent un toit sous lequel, abrité du soleil, l’air se répand et circule sans obstacle. C’est de ce portique même que la résidence de Châh-Abbas tire son nom.

Parmi les merveilles de l’art oriental que renferme Ispahan, nous citerons encore un autre palais, celui d’Amarat-Serpouchet, charmante retraite consacrée à de mystérieux plaisirs par un fils de Feth-Ali-Châh, et qui servait, au moment de notre passage, de résidence au gouverneur d’Ispahan. Tout dans ce palais respire le charme de la vie orientale, telle que les poètes l’ont rêvée et décrite quelquefois. On entre : on est dans un petit jardin embaumé de fleurs odorantes, toujours belles, toujours rafraîchies par la douce rosée que répand un jet d’eau qui ne s’arrête jamais. Là, le chèvrefeuille embaumé et la rose délicieuse coupe où vient boire le rossignol[1], s’élancent en longue guirlandes, et retombent en se jouant au-dessus de l’albâtre des vasques élégantes. L’eau limpide du bassin déborde et tombe en capricieux festons pour baigner les jacinthes et les tubéreuses qui remplissent

  1. Métaphore usitée par les poètes arabes et persans pour désigner la rose.