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habile. Le parti radical de Genève, battu dans les élections, était ainsi tenu en haleine ; garanti des atteintes du découragement, il demeurait uni, résolu, prêt à saisir la première occasion qui se présenterait de s’insurger au nom de la constitution violée, car c’est toujours là le grand épouvantail dont les agitateurs se servent pour renverser les gouvernemens les plus constitutionnels.

Cette occasion s’offrit bientôt. Le 4 octobre 1846, la décision du grand conseil relative au Sonderbund, tout en réprouvant l’alliance des cantons catholiques, demandait qu’avant d’employer vis-à-vis d’eux des mesures de rigueur, on fît encore une tentative de conciliation. L’opposition prétendit que c’était trahir la cause nationale, vendre le pays aux jésuites et à l’étranger. Au sortir de la séance, M. James Fazy convoqua une assemblée populaire dans le temple de Saint-Gervais, et la maintint en permanence pendant les deux jours suivans. Excitant les esprits par ses discours, il fit nommer, sous le nom de commission exécutive des décisions de l’assemblée, une espèce de gouvernement insurrectionnel. Alors, le procureur-général ayant lancé dans la journée du 6 des mandats d’arrêt contre les principaux meneurs de cette démonstration illégale, la révolte éclata, des barricades furent construites sur les ponts qui joignent le quartier de Saint-Gervais au reste de la ville, et, vers le soir, les insurgés commencèrent à tirer des coups de fusil sur les bateaux qui traversaient le lac. La nuit se passa en démarches inutiles pour prévenir une collision sanglante. Le 7 au matin, la ville présentait l’aspect d’une place de guerre où, toute affaire cessante, on se préparait au combat. Ce n’était qu’avec une profonde douleur que le conseil d’état cédait aux exigences d’un si pénible devoir. Aussi recula-t-il devant la mesure la plus urgente, et, au lieu de confier des pleins pouvoirs à un chef militaire expérimenté, il préféra garder par-devers lui toute la responsabilité du commandement, espérant jusqu’au bout que le conflit n’aurait pas lieu, ou que du moins un déploiement de forces imposantes et une décharge d’artillerie plus bruyante que meurtrière suffiraient pour y mettre fin promptement. Il eut en effet l’avantage dans une première journée ; mais, après ce succès qui pouvait être décisif, il manqua de prévoyance et d’énergie : il laissa s’écouler toute une nuit sans tenir les insurgés en haleine. Ceux-ci profitèrent de l’inaction du gouvernement, et le lendemain c’était au parti radical que restait la victoire. Il se passait à Genève, sur la place du Molard, la même scène à peu près que sur la promenade de Montbenon à Vaud. Comme M. Druey, M. Fazy tirait là un papier de sa poche devant la populace frémissante : ce papier contenait en même temps la liste d’un gouvernement provisoire et un programme politique, dont la disposition essentielle modifiait à l’avantage des radicaux la loi électorale. La révolution était consommée.

Le grand conseil, rassemblé pour recevoir la démission du conseil d’état, fut dissous par une troupe d’émeutiers, et, quelques jours après, on procéda, suivant les décrets de M. James Fazy, à de nouvelles élections. Le nombre des députés au grand conseil était réduit à 90, dont 44, nommés par la ville, formant un collége électoral dans lequel dominaient les radicaux, et 46 par la campagne, divisée en deux collèges seulement, de force inégale, mais où la majorité appartenait aux catholiques. Les conservateurs n’en obtinrent pas moins quelques nominations, dues à un concours que les catholiques allaient leur retirer dès qu’ils croiraient plus avantageux de s’entendre avec les radicaux.