Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/1051

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en Russie ; la religion de l’état est une sorte de doctrine abstraite et indéfinissable qui descend sur le peuple russe, et qui est destinée à opérer en lui à son gré et à son heure, comme la grace divine dans le catholicisme. On pourrait nommer la religion grecque le catholicisme des chancelleries ; ce n’est pas des cathédrales et des temples, c’est du fond des cabinets diplomatiques, des administrations, que la religion sort pour se répandre dans le cœur du peuple. Là le prêtre se reconnaît presque indigne de proclamer le Dieu qu’il sert, et il laisse cet office aux bureaucrates, qui transforment leurs administrations en atelier de mysticité. Combien tout cela est séparé de notre civilisation ! quelle différence entre ce caractère et le caractère des races saxonnes tel que nous l’avons décrit !

De cette description du caractère de la race anglo-saxonne ressort naturellement un fait, c’est sa parfaite antipathie avec le génie de cette autre race qui apparaît menaçante à l’horizon. D’un côté est le génie de la liberté ; de l’autre, le génie de l’autorité. Sans crainte d’être accusé de partialité et d’aveugle admiration pour des peuples étrangers, nous avons voulu décrire le caractère d’une race qui a toujours cru en elle-même, qui a toujours eu une foi invincible en l’individu ; nous avons voulu montrer et faire prévoir le combat inévitable qui devra s’engager, et la fatalité qui pousse l’une contre l’autre, d’une part, les sociétés qui croient que rien n’est excellent sur la terre que la force morale, la vertu, le travail, l’expansion sans contrôle de l’individualité humaine, et, de l’autre côté, celles qui croient que rien n’est bon, au contraire, que la concentration de ces mêmes forces, la soumission, l’obéissance et l’unité. Nos préférences sont naturellement du côté des nations qui représentent dans cette lutte nos instincts et nos mœurs, qui sont intéressées à les maintenir ; ces peuples peuvent être plus ou moins hostiles à notre patrie, mais ils ne sont pas hostiles à notre civilisation, et, dans la crise qui travaille l’humanité, ce n’est pas le sentiment patriotique qui est émit : c’est le sentiment le plus étendu qu’un homme puisse avoir, c’est le sentiment de la civilisation


ÉMILE MONTÉGUT.